D
À
pe,
LES JÉSUITES
EN PRÉSENCE
DES DEUX CHAMBRES.
On trouve chez le méme libraire :
Les Trois procès dans un, ou la Relgion et la
Royauté poursuivies dans les Jésuites. Par
M. Bellemare. 3° édition. Un vol. in18, r fr.
50 c.
Le Conseiller des Jésuites. Par le méme. > édi-
tion. Un vol. in-16, 1 fr. oc.
Le Collége de mon Fils. Par le même. In- 8e, 1 fr.
25 c.
La Fin des Jésuites et de bien d'autres. Par le
méme. {n-8°, 1 fr. 5o c.
LES
JSSURFES
EN PRÉSENCE
DEUX CHAMBRES.
PARIS,
IMPRIMERIE-LIBRAIRIE DE J. G. DENTU,
RUE DU COLOMBIEE , N° 21 ;
ÊT PALAIS-ROYAL, GALERIES DE BOIS, N°95 203 sr 200,
1828.
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in 2012 with funding from
University of Ottawa
https://archive.org/details/lesjsuitesenprO0bell
LES JESUITES
EN PRÉSENCE
DES DEUX CHAMBRES.
La destinée des jésuites offre aux re-
gards de l'observateur une singularité
frappante. Ils ne sont que cent cinquante
environ sur un sol habité par trente mil-
lions d'hommes. On ne les voit ni dans
nos académies, ni dans les palais de nos
rois, ni sur aucun de ces grands théâtres
où cherchent à se montrer avec éclat les
ambitieux avides d’honneurs et de célé-
brité. Employés par les évêques dans des
petits séminaires, ils y mènent, au milieu
d’une jeunesse docile , innocente et stu-
dieuse, une vie très-utile, mais obscure.
On ne peut, certes, leur adresser le re-
proche de faire du bruit, pour attirer sur
eux les regards du monde; personne ne
I
2
vit plus tranquillement dans ses foyers. Et
cependant la France entière est occupée
des jésuites; leur nom se trouve dans toutes
les bouches ; on ne parle que de leurs doc-
trines, de leur influence, de leur politique,
des faits de leur histoire consignés dans les
annales de l’Europe. Fous les jours ils es-
suient un torrent d’injures dont la source
semble ne devoir pas tarir, et ils se taisent.
Si l’on en croit les organes du parti libéral,
ces hommes si paisibles, alors même qu’on
les outrage, sont pour l'Etat le plus ter-
rible de tous les fléaux ; il faut s’en dé-
faire à tout prix, et sans retard; d’ailleurs,
leur existence au milieu de nous est une
scandaleuse violauon des lois du royaume ;
et si l’on ne se hâte de les expulser du sol
de la patrie, la Charte, ainsi que nos li-
bertés publiques, se trouvent menacées
d’un péril imminent. À juger de leur ca-
ractère, de leurs forces, de leurs projets,
par les continuelles et bruyantes clameurs
des libéraux, on dirait que ces cent cin-
quante jésuites dispersés sur divers points
en
3
de la France, doivent lui inspirer plus de
frayeurs et d’alarmes que ne le ferait une
armée de cent mille étrangers s’avançant
rapidement vers la capitale du royaume,
après avoir envahi nos frontières et dis-
persé nos phalanges.
Mon dessein n’est pas de discuter toutes
les accusations vieilles ou nouvelles diri-
gées contre ces disciples de saint fgnace :
cette tâche est honorablement remplie par
plusieurs écrivains. Parmi eux se signale
un homme d’un talent irès-remarquable.
M. Bellemare défend les jésuites avec un
courage qui annonce le plus beau carac-
tère; et le succès prodigieux qu'obtiennent
auprès du public les plaidoyers sortis de
sa plume tour à tour judicieuse et plai-
sante , spirituelle et éloquente, prouve
assez que la vérité commence à faire taire
la passion (1). On ouvre enfin les yeux sur
(1) Puisque Pauteur de cet écrit en fait la re-
marque, voici ce qui parle en faveur de la cause
4
les motifs de la haine dont ses cliens sont
l'objet; et s'ils ont des ennemis acharnés à
leur perte , ils comptent aussi dans les rangs
de la société des amis sincères et dévoués.
Si l’on me demande quel est donc le but
de mon travail et pourquoi j'intitule cet
écrit les Jésuites en presence des deux
Chambres, 11 me sera facile de sausfaire
des jésuites encore plus qu’en faveur de M. Belle-
mare. Les Trois procès dans un (1) sont à leur
3e édition (neuf mille exemplaires) ; le Conseiller
des Jésuites (2), 2° édition (six mille) ; le Collége
de mon fils (3) (dix mille exemplaires en quatre
mois); la Fin des Jésuites (4) (cinq mille exem-
plaires en dix jours), et la 2° édition cinq mille.
Le mérite des ouvrages peut y faire quelque chose ;
mais le mérite de la cause y entre aussi pour
beaucoup.
(Note de l'éditeur.)
(1) In18, fr. Soc.
(2) In-18,1 fr. 50 c.
(3) In-8o, 1 fr. 25 c.
(4) In-8o, 1 fr. 50 c.
Ces quatre onvrages se trouvent chez G. Dentu, rue
du Colombier, n° 21.
E
en peu de mots la curiosité de mes lec-
teurs. Me proposant d'examiner la question
légale de l’existence des jésuites, il m’a
paru que je devais surtout appeler l’atten-
ton de ces deux corps de l'État. Où pour
rais-je trouver tout à la fois et plus de lu-
mières réunies et plus d’esprits capables
de juger avec impartialité de la justesse de
mes observauons sur un objet de cette im-
portance! Cette question, déjà discutée l’an-
née dernière dans la Chambre haute , sera
sans doute reproduite aux deux tribunes
des pairs et des députés. Une commission
a été nommée pour constater les faits qui
s’y rattachent, et les comparer avec les lois;
et dans le discours de la couronne, pro-
noncé récemment devant l'élite de la na-
tion, le Roi a hautement déclaré, avec
cette loyauté pure, avec cette noble fran-
chise admirées de tous les Français, qu’il
désirait de faire briller par la discussion la
vérité, premier besoin des princes et des
peuples. J’ose répondre à cet auguste ap-
pel du monarque, et je viens offrir à ceux
6
qui partagent sa puissance et sa sollicitude,
le tribut de mes lumières.
Dans cet écrit, la question des petits sé-
minaires est traitée avec celle des jésuites.
Les évêques, ainsi que les jésuites, y trou-
veront la défense de leurs droits ; et peut-
être l'Université elle - même saura - 1- elle
quelque gré à l’auteur d’avoir signalé les
inconvéniens de certaines mesures qu’on
parle d’adopter dans son intérêt, et qui,
loin de la servir utilement, la compromet-
traient de la manière la plus grave. I] ne s’a-
eit pas pour elle d’avoir un peu plus d’ar-
gent, mais plus de considération; et si, en
cherchant à augmenter ses capitaux par des
mesures vexatoires, on venait à la décré-
diter dans l'opinion du clergé et des pères
de famille religieux, je la plaindrais sin-
cèrement de sa nouvelle fortune. Que se-
rait-elle aux yeux de ces deux classes
d'hommes respectables, sinon une statue
d’or et d’argent, mais aux pieds d'argile,
menaçée de tomber sous peu dans la pous-
sière qu'on foule aux pieds? Je Jui sou-
7
haite un sort bien différent. Mais il ne faut
pas qu'on l’avilisse en voulant la rendre
plus forte et plus riche aux dépens de la
religion, des mœurs et de la monarchie.
Qu'on prenne garde surtout de lui donner
les formes et l’aspect d’un tyran qui op-
prime pour envahir : ce serait la marquer
d’un fer chaud devant toute la France.
ANA AA RAR RAR RAR UN LUE RAA RU RL RAR RAR AURA LAS
CHAPITRE PREMIER.
L'existence des jésuites en France est-elle contraire aux
lois du royaume ?
IL existe des jésuites en France ; ils sont
employés par plusieurs évêques comme su-
périeurs, comme professeurs dans leurs
petits séminaires : c’est un fait avoué par
un ministre du Roi, en présence des deux
Chambres. Cependant les jésuites ont été
proscrits, exilés même du royaume, par
arrêts des parlemens;et l’édit de Louis XV,
de novembre 1764, confirmé par un édit
de Louis XVI du mois de mai 1777, sup-
prima leur société. Ainsi, confier à des jé-
suites la direction des petits séminaires,
c’est mépriser les arrêts des Cours souve-
raines, c’est se constituer en état de révolte
contre l'autorité royale, par une publique
9
et scandaleuse violation des édits de nos
TOIS.
On cite encore, sur le même sujet, un
décret de l’assemblée nationale, revêtu de
lettres-patentes du roi, du 19 février 1790,
déclarant que les lois françaises ne recon-
naissent plus de vœux monastiques solen-
nels, et que les ordres religieux et les con-
srégations dans lesquels on faisait de pareils
vœux, Ctaient et demeuraient supprimés
en France, sans qu'il pût en étre établi
de semblables à l'avenir; 2° un autre dé-
cret du 18 août 1792, déclarant pareille-
ment éteintes et supprimées toutes les
corporations religieuses et congrégations
séculières d’hommes et de femmes, ecclé-
siastiques ou laïques; 3° l'art. 11 de la loi
du 8 avril 1802, d'après lequel tous les
établissemens ecclésiastiques sont sup-
primés , à l'exception des chapitres cathé-
draux et des séminaires que les archevêques
et évêques étaient autorisés à établir; 4° un
décret du 22 juin 1804, ordonnant que
les lois qui s'opposent à l'admission de
10
tout ordre religieux dans lequel on se lie
par des vœux perpétuels, continuassent
d’être exécutées selon leur forme et teneur.
Le même décret disposa, en outre, qu’au-
cune aggrégation ou association d'hommes
ou de femmes ne pourrait se former à l’a-
venir sous prétexte de religion, à moins
qu'elle n’eût été formellement autorisée,
sur le vu de ses statuts et règlemens. En-
fin il prescrivit aux procureurs -généraux
et aux procureurs près les tribunaux de
première instance, de poursuivre ou faire
poursuivre, méme par la voie extraordi-
natre , suivant l’exigence des cas, les per-
sonnes de tout sexe qui contreviendraient
directement ou indirectement aux dispo-
sitions de ce décret.
Enfin, ajoute-t-on, aux termes des lois
de sûreté, plus de vingt personnes ne
peuvent se rassembler dans une maison
privée , à des Jours et à des heures fixes,
pour s'occuper d’arts, de sciences ou niême
de religion, sans l'agrément du gouverne-
menL.
11
Tel était létat de notre législation,
avant la publication de la Charte, laquelle
déclare, art. 68 : « Que le Code civil, et
« les lois actuellement existantes qui ne
« sont pas contraires à la présente Charte,
« restent en vigueur jusqu’à ce qu'il y soit
« légalement dérogé. » Or, il n’a point été
dérogé, dit-on, ni aux édits de Louis XV
et de Louis XVI concernant les Jésuites,
ni aux diverses lois de 1790, 1792et 1802,
par lesquelles sont éteintes et supprimées
toutes les associauonsreligieuses d'hommes.
Au contraire, deux lois de 1817 et de 1825
établissent en principe que de semblables
établissemens ne peuvent se former de
nouveau dans le royaume, qu'avec une au-
torisation de la puissance publique; et aux
termes de la loi de 1825, cette autorisauon
doit être donnée par une loi.
De ces citations diverses il résulte que
l'existence de l'association religieuse des
jésuites en France, est en opposition ma-
mfeste avec les lois dû royaume; et qu’elle
ne peut être tolérée par les ministres du
12
Roi, à qui est imposé le devoir de faire
respecter et exécuter les lois.
Reprenons ces citations en détail, et
voyons si la conséquence qu’on en tire est
légitime.
D'abord , il est bien surprenant que
l’on ose encore allésuer, contre les jé-
suites, les trop fameux arrêts des parke-
mens. D'où vient donc le beau zèle qui a
saisi tout à coup les ennemis de ces reli-
gieux pour l’exécution pleine et entière
des décisions des anciennes Cours souve-
raines? Ils n’ignorent pas qu'aujourd'hui
on réimprime librement et impunément
une foule de livres impies condamnés, par
arrêts du parlement de Paris, à être brülés
au pied dn grand escalier, de la main du
bourreau. Eh bien, quand ces derniers
arrêts seront remis en vigueur, comme
subsistant dans toute leur force, et selon
leur forme et teneur, Hs pourront alors récla.
mer, avec quelque apparence de raison,
l’exécution de ceux relatifs aux jésuites. Je
dis avec quelque apparence de raison ; car
13
en réalité ces arrêts de proscripuon doi-
vent en toute hypothèse être considérés
comme d’énormes abus de pouvoir, comme
des attentats manifestes à l'autorité royale,
et par conséquent comme des actes illé-
gaux et radicalement nuls. En effet, la
société des jésuites avait été autorisée par
édits enregistrés aux parlemens. Ainsi,
elle existait sous la protection des lois , sous
l'égide de l'autorité royale. Elle ne pou-
vait donc être supprimée par les parlemens :
car ces Cours souveraines étaient chargées
d'appliquer les lois, et non d’abolir ce
que les lois approuvaient et autorisaient.
Et cependant, entrainées par un esprit de
vertige, la plupart détruisirent, de leur
propre autorité, la société des jésuites, au-
torisée par les édits de nos rois. De pareils
actes sont marqués d’un sceau de répro-
bation : ils sont frappés d’un vice radical
qui leur ôte toute force, toute autorité.
Quant aux arrêts de bannissement portés
par ces mêmes Cours souveraines contre
tous les membres de la société des jésuites,
14
sans qu'ils eussent été cités, accusés," en-
tendus, sans qu'il y eût un seul délit
constaté juridiquement contre eux, c'est
le comble de l’injusuce, je dirais presque
de la barbarie. Et c’est bien aujourd’hui
que nos mœurs, Comme nos institutions,
repoussent tout ce qui sent l'arbitraire et
le despotisme ; c’est bien aujourd’hui qu'il
convient de réveiller le souvenir de pareils
arrêts plus flétrissans pour les juges que
pour les victimes! Louis X V en sentit toute
l’injusuice : car dans l’édit même de sup-
pression de la société, en date du mois de
novembre 1764, ce prince réforma Îles
arrêts en ce qui concernait le bannisse-
ment. « Permettant, néanmoins, y est-il
« dit, à ceux qui étaient dans ladite so-
« ciété, de vivre en particuliers dans nos
« États, sous l’autorité spirituelle des or-
« dinaires des lieux, en se conformant
« aux lois de notre royaume, et se com-
« portant en toutes choses comme nos bons
« et fidèles sujets. » Il fit plus encore : par
le même édit, toutes les procédures crimi-
LA
19
nelles qui pouvaient être commencées à
l'occasion de l'institut et societé des je-
suites , etaient et demeuraient eteintes et
assoupies , imposant silence à cet effet
à notre procureur-general. Soit dit en pas-
sant, cette dernière disposition fait voir
assez clairement que si, par des motifs po-
litiques, ou plutôt pour suivre l'avis de son
conseil (1), Louis À V crut devoir suppri-
mer dans son royaume l'institut de saint
Ignace, il ne regarda cependant pas les jé-
suites comme coupables. En effet, s'ils
eussent été à ses yeux tels que les dépei-
gnait le parlement, ce prince n'eût poiut
anéanti les procédures intentées contre eux.
C'est ainsi que la vérité perce etse produit
au dehors, dans les actes mêmes de rigueur
dont ces religieux furent les victimes.
Quoi qu'il en soit, dira-t-on , c’est un fait
que cette société, qui cherche à renaître en
(1) On sait que Louis XV s'était fait une règle
de renoncer à ses propres lumières, pour suivre
l'avis de la majorité des membres de son conseil.
16
France, a été supprimée par un édit du
mois de novembre 1764, confirmé par un
édit de Louis XVI, du mois de mai 1777.
Ainsi leur existence est réprouvée par les
anciennes lois du royaume , lesquelles, loin
d’avoir été révoquées, sont au contraire
maintenues par notre législation moderne.
Telle est l’objection : voici la réponse.
L'édit de Louis X V a supprimé la société
des jésuites, mais telle qu’elle existait alors;
c’est-à-dire une société qui possédait des pro-
priétés, qui dirigeait des colléges à elle ap-
partenant , qui était habile à accepter deslegs
et des donations entre vifs, qui formait un
ordre religieux reconnu par l'Etat; en un
mot, qui Jouissait d’une existence légale.
Mais loin de bannir de ses États les mem-
bres de cette illustre société, il annula les
arrêts qui les avaient condamnés à l'exil ;
et loin de les déclarer incapables d'exercer
les fonctions ecclésiastiques et d'occuper
des emplois relaufs à l’instrucuon publi-
que, il leur permit de vivre en particu-
liers dans ses États , sous l'autorité spi-
17
rituelle des ordinaires des lieux. Ainsi,
les évêques pouvaient disposer d’eux à leur
gré dans toute l'étendue de leurs diocèses :
car 1ls étaient placés sous leur autorité
spirituelle. s pouvaient donc les appeler
à tous les emplois qui relevaient de leur ju-
ridiction , et par conséquent les nommer
à des cures, à des canonicats, à des chaires
de professeurs dans leurs séminaires. Au-
cune limitation n’était mise par l’édit à
l'exercice de ce droit des évêques ; aucune
défense n’était faite aux membres de la so-
clété de correspondre avec leurs anciens
supérieurs pour des affaires concernant
leurs vœux et leur conscience. Il ne leur
était même pas défendu de se retirer dans
une maison pour y vivre en commun sous
l'autorité de l’évêque diocésain ; car on peut
bien vivre en parüculiers sous un même
toit , et prier ensemble, vaquer aux actes
d’une vie pieuse, mais privée, alors même
que le régime extérieur et légal de la so-
ciété dont on faisait parue , a été aboli.
Or, les jésuites d’aujourd’hui se trouvent
2
18
précisément dans cette même position.
Leur association ne possède en propre ni
biens, ni colléges, ni séminaires. Comme
les curés, comme les vicaires des paroisses,
ils vivent sous l’autorité spirituelle des
évêques. C’est d’eux qu’ils reçoivent le
pouvoir de prêcher, d'entendre les confes-
sions des fidèles, d’exercer les autres fonc-
tions ecclésiastiques, d’enseigner dans les
petits séminaires. Ainsi leur vie publique
est celle des autres membres du clergé. Il
est vrai qu'ils font des vœux, mais sans
pompe, sans solennité extérieure, seule-
ment dans le for de la conscience , entre
Dieu qui voit le fond des cœurs et celui
qui les prononce, pour se dévouer plus
spécialement à son culte. Mais qui dou-
tera raisonnablement qu'après l’édit de
suppression de leur société, les anciens jé-
suites n’aient pu faire des vœux de cette
nature? Ne sont-ce pas des actes de la vie
privée, dont la loi ne connaît pas, et qu'il
lui est impossible d’interdire, à moins de
pousser la sévérité jusqu’à la tyrannie? Il
19 ;
est vrai éncore que dans leurs chambres,
dans leur intérieur, les jésuites observent les
statuts et les constitutions de saint Ignace.
Mais on ne lit dans l’édit de Louis XV,
aucune disposition par laquelle il ait été
défendu aux anciens jésuites de faire dans
leurs cellules ce qu’ils jugeraient conve-
nable pour satisfaire leur dévotion. En-
fin il est encore vrai que les jésuites ont
des supérieurs particuliers à qui ils sont
tenus en conscience d’obéir, mais toujours
et seulement pour ces actes de la vie pri-
vée dont la loi ne connaît point et ne peut
connaître. Or, l’édit de Louis XV ne sta-
tua rien sur cet objet; et quant aux actes
de leur vie extérieure et publique, tels
que la prédication, l’enseignement et au-
tres de ce genre, s'ils recoivent de leurs
supérieurs particuliers des ordres qui s’y
rapportent, leur exécution dépend uni-
quement de la volonté des évêques, à la
juridiction desquels ils restent soumis,
comme tout autre membre du clergé. Nou-
veau trait de ressemblance avec les jésuites,
20
tels qu'ils existaient en France après l’é-
dit de suppression; car ils se mirent en-
tièrement à la disposition des évêques,
pour tout ce qui concernait leur vie exté-
rieure et publique, comme y sont encore
les jésuites d’aujourd’hui.
Ainsi, ces religieux employés par les
évêques dans leurs petits séminaires, sont
dans la même position où se trouvaient
leurs prédécesseurs, sous le règne de
Louis XV, après l’édit de suppression de
leur société. Leur existence en France
n’est donc pas, comme on le prétend , une
scandaleuse violation de cette ancienne loi
du royaume. |
Mais il existe un édit de Louis XVI,
du mois de mai 1777, dont les articles 2
et 3 portent expressément que les jésuites,
dont la société avait été supprimée, re
pourront se réunir, pour vivre plusieurs
ensemble en societé, sous quelque pre-
texte que ce puisse étre, et qu'il leur
est fait expresses inhibitions et défenses
d'avoir ni entretenir aucun commerce ni
241
aucune correspondance avec les étran-
gers qui auraient ête de ladite societé et
compagnie , surtout avec Ceux qui au-
raient eu ci-devant quelque autorité dans
ladite societe. I y a plus encore : l’ar-
üicle 6 leur interdit toutes fonctions rela-
tives à l’instruction publique. Comment
donc concilier de telles dispositions avec
l’état actuel des jésuites? N’est-il pas no-
toire qu'ils vivent plusieurs ensemble en
société ? ne peut-on pas conjecturér qu'ils
correspondent avec leur général, qui de-
meure à Rome ? et ne remplissent-ls pas,
dans les petits séminaires, des fonctions
relatives à l’instruction publique ?
Je pourrais faire observer que, d’après
’état actuel de notre législation, les dis-
positions de cet édit ne seraient plus en
vigueur, alors même qu'elles auraient été
prises pour un temps illimité.
Mais il n’est nullement nécessaire d’en-
tamer une discussion à ce sujet, pour ré-
pondre à l’objection puisée dans Pédit de
1977 ; il suflit de lire cet édit, pour être
22
pleinement convaincu que ses dispositions
concernaient uniquement les jésuites alors
existans, et non ceux qui, dans les siècles
suivans, et par un concours de circonstan-
ces impossibles à prévoir, pourraient se
trouver en France. Et en effet, l’article 1°*
porte : « Ceux de nos sujets qui étaient
« engagés dans ladite société et compa-
«gnie des jésuites, et qui avaient été
« promus aux saints ordres, continueront
« de vivre dans nos Etats comme particu-
« liers, etc. » Il s’agit là, bien certaine-
ment, non des jésuites qui pourront exister
dans les siècles à venir, mais des anciens
membres de la société qui avait été dis-
soute et éteinte dans le royaume. Et c’est
après les avoir ainsi désignés, que l’édit
ajoute, article 2.: « Ils ne pourront se réu-
«ir pour vivre plusieurs ensemble en so-
« clété, etc. ; » et article 3 : « Nous leur
« faisons expresses inhibitions et défenses
« d’avoir ni entretenir aucun commerce
« ni aucune correspondance, etc. » 2° Les
mêmes individus sont plusieurs fois appe-
23
lés, dans le cours du même édit, ci-devant
Jésuites. On y fixe les emplois auxquels
ils peuvent être nommés, et ceux dont ils
seront exclus ; et l’article 9 leur donne l’as-
surance « que les ci-devant jésuites con-
« tinueront de jouir des pensions qui leur
« ont été accordées, jusqu’à ce qu'ils aient
« été pourvus d’un bénéfice de 1000 liv.
« de revenu. » Ainsi, les expressions em-
ployées dans l’édit de 1777, et les dispo-
sitions qu’il renferme, font voir clairement
qu’il n'avait d’autre objet que de fixer et
d’assurer le sort des anciens membres d’une
société détruite : c'était un règlement tran-
sitoire uniquement"relatif à des individus
alors existans, et dont pas un seul ne fait par-
tie de l’association actuelle des jésuites (1).
(1) Un certain nombre de jésuites étaient rentrés
en France depuis la disgrâce de la magistrature.
Ils y occupaient paisiblement divers emplois, et
lon parlait de leur prochain rétablissement. Le
Parlement rappelé par Louis XVI ayant mani-
festé des craintes à ce sujet, ce prince, pour les
24
Qu'on juge maintenant si l’on peut se
prévaloir contre eux des édits de Louis XV
et de Louis XVI, et prononcer que leur
existence actuelle est contraire aux an-
ciennes lois du royaume! Nous avons, je
crois, démontré qu’une telle prétention se-
rait également déraisonnable et injuste.
A présent, que dirons-nous des décrets
de 1790 et 1792, qui abolissent à perpé-
tuité toutes les corporations religieuses et
congrégations séculières d'hommes et de
femmes, ecclésiastiques ou laïques ? D’a-
bord, nous exprimerons notre étonnement
que l’on aille chercher dans les fastes de
la révolution les lois qui doivent régir des
associations approuvées par la religion ca-
tholique , que la Charte déclare religion
de l’Etai. II me semble que cette source
est trop impure pour qu'on puisse y trou-
ver, sur un objet de cette nature, des dispo-
calmer, publia l’édit de 1777. Ce fut de sa part un
acte de faiblesse qui‘prépara des concessions plus
funestes encore.
25
sitions raisonnables. Puis, après ceue ob-
servation, nous dirons : 1° Que ces lois
étaient tyranniques, parce que c'était une
véritable tyrannie de priver de leur état
des hommes paisibles, des citoyens soumis
à l’autorité, dont un grand nombre hono-
raient les sciences et les lettres par d’utiles
travaux, et qui, depuis de longues an-
nées, vivaient dans la retraite, sans trou-
bler l’ordre public; 2° que ces lois étaient
anti - chrétiennes, parce qu’elles proscri-
vaient des associations religieuses établies
depuis des siècles dans l'Eglise, et approu-
vées par elle comme autant de moyens efki-
caces d'observer les conseils évangéliques.
Or, des lois de cette nature n’existent plus
ni chez une nation libre ni sous l’empire
d’une Charte qui proclame tout à la fois et
la liberté des cultes, et la religion catho-
lique religion de l'Etat : il en est de ces
lois comme de tant d’autres publiées dans
le même temps, notamment de celles rela-
tives à la fameuse constitution civile du
elergé, qui, sans avoir été formellement
26
rapportées, sont tombées en désuétude, je
dirai plus, dans l’odieux, depuis le réta-
blissement du culte catholique. Que l’on
conserve dans notre recueil de jurispru-
dence, et que les tribunaux appliquent
encore aujourd'hui des lois portées, dans
ces temps orageux, sur les testamens, les
donations entre vifs, et sur d’autres objets
semblables, on le conçoit aisément : ces
lois ne blessent ni une sage liberté ni la
religion de l'Etat, et l'expérience a pu en
constater l’utilité. Mais qu’on prétende
faire revivre aujourd’hui contre la religion
catholique des lois dont le seul but était
de l’affaiblir pour la détruire plus tard sans
retour ; des lois qui supprimaient des 1ns-
titutions consacrées et approuvées par elle;
des lois dont la sanction, loin d’avoir été
donnée librement, fut arrachée à la fai-
blesse de Louis XVI environné de fac-
tieux, comme tant d’autres décrets qu'il
sanctionna également, soit par crainte,
soit par nécessité, et dont les suites furent
si funestes et à sa personne et à sa famille;
Ed |
et à sa couronne et à son peuple , c’est une
prétention non seulement injuste, mais ir-
réligieuse, mais absurde. Quant aux lois
de l'Empire, on cite mal à propos contre
les jésuites celle du 8 avril 1802, qui sup-
prime tous les établissemens ecclésiasti-
ques, à l’exception des chapitres cathé-
draux et des séminaires; car, en style de
jurisprudence, on ne désigne pas ordinai-
rement les corporations religieuses sous
le nom d’établissemens ecclésiastiques :
cette dénomination indique seulement les
établissemens ou institutions appartenant
au clergé séculier, tels que chapitres, sé-
minaires, prieurés, abbayes, et antres bé-
néfices. La loi de 1802 conservait les cha-
pitres cathédraux et les séminaires; mais
elle déclarait supprimés Les autres établis-
semens ecclésiastiques, c’està-dire, les
prieurés, les chapitres collégiaux, etc. Ainsi,
il n’était point question d’abolir à perpétuité
les communautés religieuses de bénédic-
uns, chartreux, jésuites et autres. La loi du
8 avril 1802, ainsi quele concordat de 1801,
28
réglait uniquement les intérêts du clergé
séculier.
Dans un moment de mauvaise humeur,
Buonaparte fit publier le décret de 1804,
par lequel il ordonna que les lois qui s’op-
posent à l’admission de tout ordre reli-
gieux dans lequel on se lie par des vœux
perpétuels, continuassent à être exécutées
selon leur forme et teneur, et que, doré-
navant, aucune congrégation ou association
d'hommes ou de femmes ne pourrait se
former à l’avenir, sous prétexte de religion,
à moins qu'elle n’eût été formellement au-
torisée sur le vu de ses statuts et règlemens.
’était à un de ces décrets tyranniques et
irréligieux qui, sous le règne des Bour-
bons et sous l'empire de la Charte, ne
peuvent plus figurer dans le code de notre
jurisprudence. D'ailleurs, sous Buonaparte
même, ce décret ne fut point exécuté ri-
goureusement ; Car c'est un fait notoire
que, durant les années postérieures à l’an
1804, il exista en France, sous les yeux
du gouvernement, des maïsons de trap-
29
pistes où l’on faisait des vœux perpétuels ,
et un grand nombre de couvens de femmes
où l’on émettait de pareils vœux. Ainsi, cet
acte de tyrannie et d’irréligion tomba de
lui-même dans l’oubli long-temps avant la
restauration, et, depuis cette dernière et
heureuse époque, il ne fut jamais question
de lui supposer de l'autorité, puisque,
sous les yeux du Roi et des deux Cham-
bres, divers couvens d'hommes et de fem-
mes se relevèrent de leurs ruines, et ont
joui jusqu’à présent d’une paisible exis-
tence. Et quand le grand dénonciateur de
France, M. le comte de Montlosier, vint
signaler à la Chambre des pairs les con-
grégations et les jésuites comme des insti-
tutions illégales et dangereuses, les nobles
pairs se bornèrent à renvoyer sa pétition
au gouvernement , abandonnant à sa sa-
gesse le soin de faire ce qu'il jugerait con-
venable. Le gouvernement n’a pas cru de-
voir prendre pour guide M. le comte de
Montlosier ; et nous avons l'espoir que le
nouveau ministère comprendra assez bien
30
la Charte et nos libertés pour laisser dans
la poussière toutes ces lois et tous ces dé-
crets dont le temps et le bon sens ont fait
justice. |
On n’opposera pas avec plus de succès
aux Jésuites l'article 291 du Code pénal,
concu dans ces termes : « Nulle associa-
« tion de plus de vingt personnes, dont le
« but sera de se réunir tous les jours, ou
«à certains jours marqués, pour s'occuper
« d'objets religieux, littéraires, politiques
« ou autres, ne pourra se former qu'avec
« l'agrément du gouvernement, et sous les
«conditions qu'il plaira à l’autorité pu-
« blique d'imposer à la société. »
Les observations que nous venons de
faire sur le décret de 1804 prouvent clai-
rement que cet article du Code pénal n’est
point applicable, surtout depuis la restau-
ration, aux communautés religieuses d’hom-
mes ou de femmes. De plus, on donne à
cet article une interprétation fausse, dans
la vue de tourmenter les jésuites. Il est
évident qu’il s’agit ici, non d’une réunion
31
de plus de vingt personnes habitant sous
le même toit, mais d’une réunion d’indi-
vidus demeurant dans des maisons sépa-
rées; car les membres des associations in-
diquées dans l’article 291 se réunissent
ou tous les jours ou à certains jours mar-
ques, ce qui désigne, sans aucun doute,
une réunion de personnes arrivant de di-
verses maisons où elles habitent, dans le
domicile de l’une d’elles, ou dans un local
spécialement affecté aux assemblées, pour
s’y occuper ensemble d'arts, de lettres, de
sciences, de politique ou de religion. En
effet, on ne dirait pas de personnes habi-
tant sous le même toit et vivant sous une
règle commune, qu’elles se réunissent
tous les jours o4 à certains jours marques.
Elles sont constamment réunies, et n’ont
pas besoin de se réunir. D'ailleurs, il faut
bien expliquer ainsi l’article 291 du Code
pénal : autrement, on devrait soutenir qu’il :
n'est pas permis à plus de vingt personnes
d’habiter dans la même maison , ce qui se-
rait assurément fort désagréable et très-
32
ruineux pour un grand nombre de pro-
priétaires , surtout à Paris; car, une fois
que des locaiaires demeurent sous le même
toit , il est incontestable qu'ils peuvent se
voir et causer, dans le même salon, de re-
ligion, d'arts, de lettres et de politique,
et y faire, en un mot, tout ce qu’ils jugent
convenable, pourvu que, par leurs ac-
tions, l’ordre public ne soit aucunement
troublé.
Enfin, j'ignore comment on a pu sou-
tenir que deux lois de 1817 et de 1825
établissent en principe que des établisse-
mens religieux ne peuvent se former de
nouveau dans le royaume qu’avec une au-
torisation de la puissance publique , et
qu'aux termes de la loi de 1825, cette au-
‘torisation devant être donnée par une loi,
les jésuites n’ont qu’une existence illégale;
car, 1° dans la loi du 2 janvier 1817, il est
seulement statué « que tout établissement
« ecclésiastique reconnu par la loi pourra
« accepter, avec l'autorisation du Roï, tous
« les biens meubles, immeubles, ou ren-
33
« tes, qui lui seront donnés par actes entre-
« vifs ou par actes de dernière volonté
« (article 1°"); » 2° que « tout établisse-
« ment reconnu par la loi pourra égale-
« ment, avec l'autorisation du Roi, ac-
« quérir des biens immeubles ou des ren-
« tes (article 3); » 3° et enfin « que les im-
« meubles ou rentes appartenant à un éta-
« blissement ecclésiastique seront possédés
« à perpétuité par ledit établissement, et
« seront inaliénables, à moins que l’alié-
« nation n’en soit autorisée par le Roi. »
Ainsi, cette loi de 1817, dont le texte tout
entier est sous les yeux de nos lecteurs,
ne pose nullement en principe que des
établissemens religieux ne peuvent se for-
mer de nouveau dans le royaume qu'avec
une autorisation de la puissance publique ;
mais elle déclare seulement : 1° qu'il pent
exister en France des établissemens ecclé-
siastiques reconnus par la loi, et 2° que
ces établissemens ne peuvent ni accepter
ni acquérir, qu'avec lautorisation du Roi.
des biens meubles, immeubles et rentes :
9
3
54
ce qui ne concerne point les jésuites, et ne
met aucun obstacle à leur existence dans
le royaume.
2° La loi de 1625, sur les communautés
religieuses de femmes , ne prononce point
la dissolution de celles qui refuseraient ou
névligeraient de se faire autoriser ; elle
n'interdit pas non plus la formation de
nouvelles communautés avant d’avoir sol-
licité et obtenu l'autorisation du Roi; seu-
lement elle prescrit les formalités à rem-
plir par celles qui désirent de jouir d’une
existence légale qui les rende aptes à ac-
cepter des legs et des donations. Et quand
ces formalités sont remplies, quand elles
sont autorisées ou par une ordonnance du
Roi, ou par une loi, selon la date de leur
existence, c’est alors seulement que nul
établissement nouveau de ceite commu-
nauté autorisée ne peut avoir lieu sans une
permission dn Roi accordée par une or-
donnance. Mais, encore une fois, rien ne
les oblige à se faire autoriser. IL y a plus :
pour obtenir une existence légale, il faut
35
que déjà elles existent de fait, et par con-
séquent sans autorisation préalable; car,
régulièrement, on n’autorise pas à accepter
des legs et des donations une commu-
nauté dont l'existence est projetée. Avant
de lui accorder cette faveur, on veut re-
connaître l’utilité de ses services; connais-
sance qu'on ne peut acquérir qu’autant
qu’elle a déjà existé pendant un certain
temps sous les yeux du gouvernement (1).
Ainsi, l’on ne pourrait rien arguer contre
les jésuites de cette loi de 1825 , alors
même qu'on voudrait leur appliquer les
dispositions relatives aux communautés re-
ligieuses de femmes.
Nous avons, ce nous semble, suffisam-
ment éclairci la question légale de l’exis-
tence des Jésuites en France. Il nous paraît
(1) Il n'en est pas de même d’un établissement
nouveau d’une communauté déjà autorisée, parce
que l’on peut apprécier l’importance de ses services
par ceux que rendent les établissemens de cette
sorte déjà existans.
36
démontré qu’on ne peut rien opposer de
raisonnable aux preuves dont nous avons
appuyé notre opinion. Mais elles vont re-
ceyoir une force nouvelle, des observations
qui seront développées dans le chapitre
suivant. Nous ferons voir que les jésuites
existent en France sous la protection de la
Charte, de nos libertés, de nos maximes de
droit public; et dès lors ce serait une peine
superflue que d’aller chercher, soit dans
l’ancienne législation du royaume, soit
dans les annales de la révolution, soit dans
la jurisprudence de l'empire, des lois dont
les dispositions puissent être légitimement
invoquées contre eux, et contre les établis-
semens qu’ils dirigent.
37
LA
AAA AAA AAA AAA AAA AA AAA AAA RAR EE AAA ARR AA
CHAPITRE IL.
L'existence des jésuites en France ne serait-elle point
protégée par nos maximes de droit public et par la
Charte?
C'EST une maxime de notre droit pu-
blic, que la vie privée des citoyens est
hors du domaine de la loi civile; que
chacun est libre de faire chez soi, dans
son intérieur, Ce qui convient à ses goûts,
pourvu que Vordre public n’en soit pas
troublé. M. Royer-Collard reconnaissait
l'existence de ce droit, lorsqu'il disait que
la vie privée des citoyens était mureée.
D'après cette maxime, on ne doit ni re-
chercher, ni poursuivre, ni arrêter qui que
ce soit pour les actes qu’il fait paisiblement
dans sa maison, sans inquiéter ses voi-
sins , sans menacer Ja vie, les biens, l'hon-
38
neur, la liberté de ses concitoyens, ni la
tranquillité de l’État. Et si à l’occasion de
pareils actes on venait à l’expulser de son
domicile, à le priver de son emploi, dès ce
moment la persécution remplacerait la 1o-
lérance, et la tyrannie opprimerait la li-
berté. Alors, les citoyens se trouveraient
placés sous le régime d’une hideuse inqui-
sition exercée sur des actes dont la loi ne
connaît point el ne saurait connaître ; et
le gouvernement qui se prêterait à de pa-
rcilles vexations, deviendrait l’objet de
l'indignation et de la haine; on ne cesserait
de lui reprocher qu’il viole les maximes
de notre droit public, qu’il outrage la li-
berté des Francais. Et en effet, que diriez-
vous, messieurs les libéraux, si un simple
commis était chassé des bureaux d’un mi-
nistère, pour avoir observé dans son inté-
rieur certaines pratiques recommandées par
le Talmud? De quelle philosophique indi-
gnation ne seriez - vous pas transportés, SL
un employé des douanes ou des postes,
des contributions directes ou indirectes,
39
se trouvait rudement jeté à la réforme,
parce qu'une ombrageuse administration
aurait acquis la certitude que, dans sa vie
privée, il se conforme au Coran, priant
comme les musulmans, observant le jeûne
du ramadan, honorant enfin d’un culte
particulier le prophête de la Mecque?
N'est-il pas vrai qu’alors vous n’auriez ni
assez de journaux, ni assez de pamphlets,
ni assez de voix libérales, pour crier à l’in-
tolérance, à la tyrannie, et pour faire ré-
sonner un terrible 2aro sur le ministre cou-
pable d’une telle indignité? Eh! de grâce,
soyez conséquens ; ne pensez plus à expul-
ser les jésuites des petits séminaires, ou
bien abjurez vos principes sur l’indépen-
dance de la vie privée; car les actions exté-
rieures et publiques des jésuites, sont celles
de tout autre prêtre français. Ils préchent,
ils entendent les confessions des fidèles, ils
administrent les sacremens aux mourans,
ils font une classe de littérature francaise,
ou un cours de langue latine, comme les
5
membres du clergé séculier employés soil
49
dans les paroisses, soit dans l’instruction
publique. Aucune des fonctions qu’ils rem-
plissent ne peut être exercée par l’un
d'eux, sans l’agrément de l’évêque diocé-
sain; c’est à lui qu’ils obéissent dans tous
les actes de leur vie publique. Et, comme
nous l’avons dit plus haut, les ordres de
leurs supérieurs particuliers quis’y rappor-
teraient, ne pourraient recevoir leur exé-
cution qu'avec le consentement des ordi-
naires des lieux. Ceux-ci ont le droit de les
renvoyer des petits séminaires, comme il a
dépendu d’eux de leur en confier la di-
rection. Ainsi, du côté de leur vie publi-
que, ils sont inattaquables.
Direz-vous qu'ils font des vœux perpé-
tuels interdits par les lois? Mais ces vœux
se font sans solennité, dans l’intérieur
d’une maison, et sont des actes de cette
vie privée que les lois ne peuvent attein-
dre. Et nous avons d’ailleurs réselu l’ob-
jection tirée des lois nées au temps de la
révolution, ou sous l’empire, qui prohi-
bent les vœux perpétuels. Les jugerez-
41
vous punissables parce qu’ils observent les
constitutions de saint Ignace? Mais c’est
dans un oratoire privé, ou dans le secret
de leurs cellules, qu'ils se livrent à ces
pieuses observances. Aïnsi, elles sont en-
core des actes de cette vie domestique et pri-
vée qui est placée hors du domaine de la loi.
Leur ferez-vous un crime de correspondre
avec des supérieurs étrangers? Mais puis-
qu'ils demeurent soumis aux évêques et
aux lois du royaume, pour ce qui con-
cerne leur vie publique, ils ne correspon-
dent avec des supérieurs étrangers, que
pour des affaires de conscience que la loi
ne peut régler. Il est d’ailleurs permis à
tout le monde de correspondre avec quel-
que étranger que ce soit; et puis, enfin,
s'asseoir à son bureau dans sa chambre
pour écrire une lettre, y mettre telle
adresse qu’on juge convenable, et Ja faire
jeter ensuite à la poste, ne sont-ce pas
encore des actes de la vie privée entière-
ment indépendans de la loi? Enfin, leur
reprocherez-vous de vivre plusieurs en 50-
42
ciété, et de former ainsi une véritable as-
soclation, sans avoir obtenu l'autorisation
du gouvernement? Mais il est permis non
seulement à vingt, mais à trente, à cin-
quante, à cent personnes d’habiter dans
la même maison; et quand elles y sont
une fois réunies, il leur.est entièrement
libre d’y faire ce qu’elles veulent, pourvu
qu’elles ne troublent point l’ordre public.
Et de même qu'elles peuvent y jouer en-
semble, danser, se divertir, faire de la mu-
sique, il dépend aussi de leur volonté de
prier en commun, d’avoir de pieux entre-
üens, et de prendre leur nourriture dans
un même réfectoire. Voilà encore des actes
de la vie privée qui sont du domaine de
la liberté, et que la loi ne pourrait prohi-
ber sans tyrannie. Ainsi, tout ce qui cons-
titue un jésuite et le sépare de la foule des
chrétiens ou des ecclésiastiques séculiers,
c’est-à-dire ses vœux, ses observances, sa
société habituelle, appartient à la vie do-
mestique, et, sous le régime actuel, de-
meure dans une indépendance absolue de
43
la loi. Sans doute que si, dans les maisons
où ils habitent, les jésuites formaient des
conspirations contre l'Etat, contre la sù-
reté générale, ils se mettraient dans le cas
d’être cités devant les tribunaux, d’être
interrogés et punis selon les lois. Mais ce
n’est point là que se trament de noirs et
sinistres complots contre le trône et la
tranquillité publique. Leurs ennemis ont
des reproches opposés à leur faire; et si
sous ce rapport ils donnaient prise à la
censure, à une condamnation juridique,
on peut facilement croire qu'ils n’auraient
pas été épargnés. Loin de mériter une telle
condamnation, 1ks se rendent dignes de la
reconnaissance du gouvernement, en for-
mant au Roi des sujets dévoués, aux fa-
milles des enfans studieux et soumis, et à
l'Etat des citoyens vertueux.
De cette discussion, il résulte clairement
que les jésuites ne pourraient être expul-
sés des petits séminaires, n1 leur société
être dissoute, sans qu'il fût porté une at-
teinte funeste à cette liberté dont jouissent
44
tous les citoyens français dans les actes de
leur vie privée; que leur association, loin
d’être en opposition avec nos lois, se trouve
protégée par une de nos maximes de droit
public les plus constantes; que si, pour
la dissoudre, on prétendait leur imposer
des conditions dures et gênantes, de telles
mesures devraient être réputées vexatoires
et tyranniques, opposées à nos maximes
comme à nos mœurs, et que le gouver-
nement assez imprudent pour les mettre
à exécution, deviendrait d’autant plus
odieux à tous les citoyens sages et réflé-
chis, qu’alors chacun aurait lieu de trem-
bler pour sa propre liberté. Car un premier
acte arbitraire est ordinairement suivi d’un
second de même nature, puis celui-ci d’un
troisième, sans qu'il soit possible de pré-
voir où s’arrêtera l’oppression du faible par
la force séparée du droit.
Mais il existe encore d’autres maximes
et d’autres libertés publiques qui placent
les jésuites à l’abri de toute attaque légale;
elles sont consignées dans les premiers ar-
45
ucles de notre pacte fondamental ; la
Charte elle-même est le rempart qui pro-
tége les jésuites contre les traits de leurs
ennemis; il faut la déchirer, ou laisser sub-
sister en France leur utile société.
Je lis, arucle 1°° : « Les Francais sont
« égaux devant la loi, quels que soient
« d’ailleurs leurs titres et leurs rangs. »
Puis, article 2 : « Ils sont tous également
« admissibles aux emplois civils et mili-
« taires. »
L'article 5 et l’article 6 portent : « Cha-
« cun professe sa religion avec une égale
« liberté, et obtient pour sor culte la même
« protection. — Cependant, la religion ca-
« tholique , apostolique et romaine est la
« religion de l'État. »
Voilà des libertés publiques qu'il faut dé-
savouer, quoique consacrées par la Charte,
si l'on veut provoquer contre les Jésuites
la sévérité du gouvernement. Comment,
en eflet, échapper aux conséquences qui
découlent de l’admissibilité de tous les
Français aux divers emplois du royaume,
46
comme de la liberté accordée à chacun de
professer sa religion ?
Tous les Français sont également ad-
missibles aux emplois du royaume. Or, un
prêtre ne cesse point d’être citoyen fran-
çais parce qu'il devient jésuite; 1l en con-
serve tous les droits, alors même que, par
des engagemens de conscience, 1l vient
d'acquérir ceue dernière qualité. La loi
veille pour fui comme pour les autres su-
jets du Roi; elle protége également ses
biens, son honneur, sa vie, sa liberté. C’est
en qualité de citoyen français qu’il dispose
de ses propriétés par testament; qu'il ac-
cepte des legs et des donations entre-vifs,
non pour sa société, mais pour lui-même ;
qu'il peut faire tous les contrats autorisés
par les lois; qu'il signe des actes notariés
dont la validité serait reconnue par tous
les tribunaux de France: qu'il jouit, en
un mot, de tous les droits civils et politi-
ques des citoyens français. Et il est clair
qu’en cette même qualité il pourrait deve-
nir grand-maître de l’Université, même
47
ministre des affaires ecclésiastiques, même
président du Conseil; ce qui n’arrivera
pas, soyez tranquilles, mais ce qui néan -
moins arriverait sans aucune violation du
pacte fondamental. Loin de là, ce pacte,
placé sous la foi du serment, lui servirait
de palladium; car nos jésuites sont Fran-
çais, et tous les Français sont également
admissibles à tous les emplois civils et
militaires. Or, ce même homme objet de
votre aversion , mais néanmoins citoyen
français comme vous; qui, d’après nos ins.
titutions, serait capable de s'élever à un si
haut degré de fortune et de pouvoir; à qui
il appartiendrait de contresigner des or-
donnances royales, de prendre la part
la plus active aux affaires publiques,
de diriger enfin, à côté du Roi et par ses
ordres, le gouvernail du vaisseau de l'Etat,
vous le jugeriez inhabile à occuper une
chaire de rhétorique, et même à enseigner
la septième dans un petit séminaire! En
vérité, de telles prétentions et un tel lan-
gage feraient piué, si l’on n’était révolté
48
jusqu'au fond de lâme de votre esprit d'in-
quisition tyrannique , de votre haine insa-
tiable de proscriptions, de votre intolé-
rance voilée sous les beaux noms de phi-
losophie ei d'humanité, de philanthropie
et de liberte.
Direz-vous que les fonctions remplies
par les jésuites, sont des fonctions ecclé-
siastiques qui n'ont rien de commun avec
les emplois mentionnés dans cet article de
la Charte, et que par conséquent, on n’en
peut rien conclure pour leur défense? Mais
vous prétendez que les petits séminaires
confiés à leurs soins ne sont que des col-
léges déguisés; et par ce motif, vous de-
mandez qu'ils soient placés sous le régime
universitaire. Ainsi, les places qu’ils y oc-
cupent doivent, selon vous, être réputées
des emplois civils; et dès lors, en leur qua-
lité de citoyens français, ils ont droit d'y
prétendre. Que si maintenant il vous plaît
de les considérer comme des fonctions ec-
clésiastiques, je vous répondrai que les jé-
suites sont encore inattaquables ; car lar-
72
49
ücle 1°" de la Charte déclare que les Fran-
cais sont égaux devant la loi : or, cette
- égalité n’existerait plus, si, d’après la loi,
un prêtre se trouvait exclu des emplois ec-
clésiastiques, parce qu'il serait jésuite,
quoique d’ailleurs citoyen français. Enfin,
dans cette dernière hypothèse, les jésuites
pourraient encore invoquer pour leur dé-
fense l’article 5 de la Charte, qui, en pro-
clamant la liberté des cultes, protége le
libre exercice des fonctions confiées par les
évêques aux ecclésiastiques dépositaires de
leur autorité spirituelle.
Cet arucle de la Charte relatif à la li-
berté des cultes, demande à être développé
avec. une certaine étendue, pour, qu’on
puisse clairement apercevoir comment il
met les jésuites à l'abri de toute attaque
légale.
« Chacun professe sa religion avec une
« égale liberté, et obtient pour son culte
« la même protection.
« Cependant la religion catholique ,
« apostolique et romaine ; est la religion de
« l'Etat. »
ñ
50
La voilà hautement proclamée cette
liberté des cultes que l’on vante sans cesse
comme le chef d'œuvre du siècle de la phi-
losophie, comme l’un des plus grands bien-
faits assurés à la France par notre pacte
fondamental. Eh bien, il est donc libre à
chaque individu, non seulement de pro-
fesser les dogmes de la religion catholique,
et d'observer les préceptes qu’elle impose,
mais encore d'accomplir les conseils dits
évangéliques. Car ces conseils ont pour
objet des œuvres d’une haute perfection
recommandées par le divin législateur du
chrisuanisme; elles consisient dans une
chasteté parfaite, dans la pauvreté reli-
sieuse, dans une obéissance entière à des
supérieurs particuliers, même dans des
choses indifférentes en elles-mêmes, mais
toujours selon les lois de l’Église, et jamais
d’une manière contraire aux sages règle-
mens tracés par la puissance temporelle.
L’accomplissement de ces œuvres pieuses
et saintes fait partie du culte catholique,
c’est-à-dire d’un culte spécial de dévoue-
ment et de perfection, constamment re-
51
commandé et approuvé par l'Eglise catho-
lique. Et si l’on ne jouissait pas d’une pleine
liberté de vaquer à de telles œuvres, dès
lors le culte catholique ne serait pas libre.
Or, Ja faiblesse humaine a exigé que, pour
suivre les conseils évangéliques, de pieuses
associations fussent formées, loin du bruit
des villes et de la dissipation du siècle. Ces
associations ont été approuvées par les papes
et les évêques, en qui réside l'autorité pro-
pre à la religion catholique, comme des
moyens de perfection et de salut, comme
des institutions utiles, nécessaires même
pour pratiquer librement les conseils évan-
géliques. Et si vous supprimez arbitraire-
ment ces associations, vous Ôtez par cela
même, à une foule de chrétiens, la facilité
d'accomplir l'Évangile dans sa perfection.
On comprend en effet sans peine qu’en
restant au milieu du siècle, Ja plupart
sont exposés à trop de dissipation, à trop
de périls, pour mener cette vie d’abné-
gation et de: renoncement aux Jouissances
mondaines, qui constitue la perfection de
l'Evan otle.
52
Il ne s'agit pas de discuter ici, avec des
vues humaines et philosophiques, de quelle
utilité peuvent être ces ordres monasti-
ques, ces congrégations religieuses; il suf-
fit de faire observer que les conseils évan-
véliques font partie du culte catholique ;
qu'on Ôterait à la plupart des chrétiens la
faculté d’y conformer leur conduite, si l’on
supprimait les associations religieuses ; que
ces corporations établies dans les déserts de
la Thébaide durant le temps des persécu-
ions des empereurs romains (1), furent
constamment protégées, après la paix ren-
due à l'Eglise, par tous les princes chrétiens
qui favorisèrent le libre exercice de la re-
ligion catholique. Concluons de à qu’un
souvernernent qui les proscrirait, quand
la Constitution de l'Etat proclame la liberté
absolue des cultes, n’agirait pas seulement
d’une facon arbitraire et tyrannique, mais
morte rate
(1) La plupart des solitaires qui vivaient dans
les déserts avaient des supérieurs auxquels ils obéis-
saient, Ceux-ct prenaient le nom d’abbes.
53
se mettrait dans une scandaleuse opposi-
Uon avec cette même Constitution.
Eh quoi! serait-il libre, le peuple infor-
tuné qui se trouverait régi par un gouver-
nement assez ennemi de l'intérêt public
pour interdire les sociétés de commerce,
les compagnies d’assurance, les académies
littéraires, en un mot, les associationsayant
pour objet de faire fleurir dans l'Etat l’in-
dustrie et le commerce, les sciences et les
lettres? Au lieu de l'appeler 7 peuple
libre , ne déploreriez - vous pas son sort,
comme celui d’un esclave dans les fers?
Et votre amour pour la liberté tronverait-1l
des expressions assez énergiques pour pein-
dre la tyrannie du gouvernement qui le
réduirait à cet état d'abjection et de ser-
vitude? Et vous oseriez prétendre que le
culte catholique serait libre sous un gou-
vernement qui pousserait Ja dureté et le
despotisme jusqu'à proscrire les associa-
tions religieuses établies pour pratiquer la
perfection du christianisme, pour rendre
à Dieu un culte spécial recommandé for-
mellement dans le code sacré de l'Evan-
54
aile, par le législateur même de la religion
catholique! Croyez-vous donc que ces asso-
clations ne soient pas aussi nécessaires à
des chrétiens pour porter la perfection de
l'Evangile jusqu’à l’héroïsme, que les so-
clétés commerciales ou littéraires ne le
sont pour exploiter des mines, étendre les
progrès de la navigation, ou accroître les
lumières de la science et des lettres?
L'homme est faible dans l'isolement; il ne
devient fort que par la réunion de ses
semblables. Cela est vrai en tout, et par-
tout, dans l’ordre moral comme dans l’or-
dre physique, dans le monde religieux
comme dans le monde social et politique.
Et priver des chrétiens, des prêtres, de
la faculté de se réunir pour vivre sous un
même toit et sous une règle commune,
afin de se fortifier dans la pratique des
- vertus évangéliques par l'attrait de l’exem-
ple, par la communauté du travail et des
prières, par les exhortations et les conseils
de l'amitié, par l’ascendant d’une autorité
ferme, mais douce et paternelle, placée
dans les mains de supérieurs éclairés et
»=
55
vertueux, c’est faire peser sur la religion
une véritable tyrannie; c’est mettre des
entraves au culte catholique, au lieu de
le proclamer libre; c’est enfin outrager la
Charte, qui protége les libertés religieuses
aussi bien que la liberté civile et indivi-
duelle.
Sans doute ces associations demeurent
sous la surveillance de la haute - police,
comme les réunions d’hommes dans tous
les Etats. Mais surveiller, n’est pas dé-
truire. Que le gouvernement ait l'œil
ouvert sur les corporations religieuses ;
qu’il se concerte avec l’autorité ecclésias-
tique, soit pour les réformer, s’il existe
des abus qui excitent sa sollicitude, soit
pour les supprimer, si au lieu d’être des
asiles de vertu, elles devenaient des foyers
de désordres et de vices; qu'il punisse
même selon la rigueur des lois les êtres
dégradés qui, sous le manteau de la reli-
gion , troubleraient l’ordre social ; rien de
mieux : l'intérêt de la société, de la reli-
sion l'exige. Mais qu'il n’aille pas jus-
qu'à renverser indistinctement les associa-
56
uons religieuses approuvées par les évé-
ques , qui présentent le spectacle de la paix,
de la charité, de la vertu; ou bien il cesse
aussitôt de surveiller pour détruire, et loin
de protéger la liberté des cultes, il tyran-
nise la religion de l'Etat.
Pour combattre cette doctrine, dont la
vérité brille d’une manière si frappante, on
a prétendu que ces corporations religieuses
n’appartenant point à l’essence de la reli-
gion, le culte catholique pouvait être libre,
sans qu’elles fussent autorisées dans l'Etat;
mais cette objection se trouve résolue par
toutes les observations que nous venons de
faire sur les conseils évangéliques considé-
rés comme faisant partie du culte catholi-
que, et sur la nécessité des corporations
religieuses, pour offrir aux chrétiens un
moyen sûr et efhicace de rendre à Dieu,
selon leur vocation, ce culte de dévoue-
ment et de perfection. Ajoutons qu'il se-
rait par trop ridicule de soutenir que le
culte serait libre sous une administrauon
despotique qui, par divers prétextes, sup-
primerait les processions dans l’intérieur
="
57
des églises, les expositions du Saint-Sacre-
ment à certaines fêtes, le chant des vé-
pres, etc. Et cependant ces cérémonies
n’appartiennent point à l’essence de la re-
lision ; car elles pourraient être suppri-
mées, sans que le culte catholique, d’ins-
titution divine, recût la moindre altéra-
tion. Convenez donc aussi que ce même
culte ne serait point libre dans l'Etat, si
le gouvernement supprimait des associa-
tions religieuses dont les membres se
montrent parfaitement soumis aux lois du
royaume ; qui, loin de troubler la société,
’édifient par des exemples de vertu, et
que les évêques approuvent, pour fournir
aux fidèles un moyen efficace de prati-
quer les conseils évangéliques. En un mot,
un culte n’est pleinement libre, qu’autant
qu’on jouit d’une entière liberté de prati-
quer les observances, non seulement in-
dispensables, mais simplement utiles, qui
en font parue; qu'autant qu'il est permis à
chacun des membres qui professent une
religion, d'entrer dans les confréries ou
58
associations approuvées par l'autorité spi-
rituelle, comme moyens ou nécessaires ou
uüles de rendre à Dieu un culte recom-
mandé dans l’Evangile. Le droit du gou-
vernement consiste alors dans la surveil-
lance qu’il exerce sur elles, et non dans
la faculté de les détruire, à moins qu’elles
ne troublent ou n'’altèrent l’ordre social.
Au-delà de ces limites, je n’apercois plus
que Parbitraire et la tyrannie, qu'il est
impossible de concilier avec la liberté.
On objecte encore qu'avant la révolu-
tion, lorsque la religion catholique était
dominante, les corporations religieuses ne
pouvaient subsister sans une autorisation
légale. Oui, pour jouir d’une existence lé-
gale, c’est-à-dire pour devenir habiles à
posséder des biens en toute propriété, pour
obtenir le droit d’accepter des legs et des
donations entre-vifs, mais non pour jouir
d’une simple existence de fait. Car, parmi
les ordres religieux établis dans le royaume
en si grand nombre, on n’en citerait peut-
être pas un seul qui n’eût joui d’une exis-
EE
29
tence de fait, avant d’avoir obtenu une
existence de droit : celle-ci n’était accordée
aux associations religieuses, qu'après un
certain temps d'épreuves, et lorsque le gou-
vernement avait reconnu leur utilité. Telle
était du moins la règle qu’on suivait ordi-
nairement à cet égard; et il est facile d’a-
percevoir que la sagesse conseille de s’y
conformer. En agissant différemment, on
s’exposerait à revêtir d’une autorisation lé-
gæle des corporations qui ne mériteraient
pas cette faveur.
On n’a pas craint d’alléguer contre la
doctrine établie ci-dessus, les diverses
constitutions politiques qui se sont succé-
dées depuis 1789 jusqu’en 1799, et qui
avaient rigoureusement prohibé toutes cor-
porations religieuses et toutes institutions
monastiques, quoiqu’elles eussent proclamé
la liberté des cultes. Mais à qui persua-
dera-t-on que le culte catholique fut
libre dans ces temps de lamentable mé-
moire , où, après avoir bouleversé tout l'or-
dre ecclésiastique par une constitution ci-
60
vile du clergé, et précipité l'Eglise de
France dans le schisme, on en vint à un
tel excès de fureur impie contre la reli-
gion catholique, que ses temples furent
fermés ou profanés, ses ministres déportés
ou livrés au glaive du bourreau, et toutes
ses institutions renversées de fond en com-
ble? La liberté des cultes existait alors,
comme la liberté civile et individuelle,
dont on ne cessait de parler au peuple avec
emphase, dont le nom était inscrit sur
le fronuspice des édifices publics, alors
même que les citoyens les plus paisibles et
les plus vertueux étaient traduits chaque
jour devant les tribunaux révolutionnai-
res, précipités pêle-mêle dans des cachots
infects, puis conduits à l’échafaud, ou
noyés et massacrés en masse avec une bar-
barie et une soif de sang qui surpasse la
férocité des tigres. Une telle objection ne
mérite pas l'examen d’une discussion sé-
rieuse ; le silence de l’indignation devrait
être la seule réponse à de pareilles cita-
lions.
61
Ce n’est pas non plus dans les actes du
youvernement de Buonaparte qu'il faut
aller chercher des modèles pour protéger
la liberté des cultes. Parmi les lois organi-
ques publiées pour l'exécution du concor-
dat de 18071, il existe des dispositions
diamétralement opposées à la discipline
ecclésiastique de France, contre lesquelles
le pape et les évêques ont constamment ré-
clamé, et dont plusieurs sont tombées en
désuétude, de l’aveu des jurisconsultes les
plus éclairés. On sait d’ailleurs comment
le culte catholique était libre sous l’Em-
pire, lorsqu'il était défendu de correspon-
dre avec le chefde l'Eglise, promené d’exil
en exil et de prison en prison; lorsque trois
évèques furent envoyés à Vincennes pour
avoir été d’un avis différent de celui de
Napoléon sur des matières théologiques.
Est-il donc si étonnant que cet homme si
impérieux et si fier, aux yeux duquel toute
résistance passait pour un crime, surtout
de la part des ecclésiastiques, ait violé la
liberté des cultes par le décret de 1804,
62
concernant les corporations religieuses ? Il
a blessé bien d’autres libertés, maintenant
chères aux libéraux. Je ne citerai que la
liberté de la presse, au maintien de la-
quelle devait veiller sans relâche une com-
mission composée de sénateurs. Or, qui
ne sait qu'un comité de censure remplaça
constamment cette commission du Sénat,
dont l'existence avait été décrétée dans
les constitutions de l’Empire. En fait de
libertés, ne cherchons pas des modèles
dans les actes du despotisme. C’est la
Charte interprétée avec bon sens et loyauté
qui doit nous servir de flambeau, comme
de sauvegarde.
Enfin, on nous cite l’exemple des cha-
pitres, des séminaires, ou autres établis-
semens ecclésiastiques, lesquels, sous Pem-
pire de la Charte, ne peuvent être fon-
dés sans l’autorisation du Roi. On ne fait
pas atiention que ces établissemens jouis-
sent d’une existence légale. Ils sont re-
connus par la loi, et, comme tels, dotés
par le gouvernement, et déclarés habi-
63
les à recevoir des legs et des dons. Or,
puisqu'ils sont reconnus par la loi et mis
par elle en possession de certaines préro-
gatives , il est dans l’ordre que leur fonda-
tion soit soumise à l’accomplissement des
formalités prescrites pour les en faire jouir.
Il n’en est pas de même de ces associa-
uons religieuses qui ne demandent rien
au gouvernement, et ne recoivent de lui
aucune faveur. Car, pourquoi ne pourraient-
elles se former sans autorisation ? serait-ce
dans la crainte qu’elles ne s’enrichissent
aux dépens des familles? Mais n'étant pas
reconnues par la loi, elles ne peuvent pos-
séder des biens, des propriétés, et tout
testament fait à leur profit serait déclaré
nul. Est-ce qu'on redouterait de leur part
des troubles, des désordres dans la société ?
Elles ne sont formées que pour suivre V'É-
vangile dans ce qu'il offre de plus sublime
à l’héroisme de la vertu; et placées comme
les autres réunions d'hommes sous la sur-
veillance de la haute police, elles tombe-
raient sous les coups de lautorité, à l’ins-
64
tant même où on les verrait se montrer
ennemies de l’ordre social. Craindrait-on
encore qu'en se mulüpliant , elles ne privas-
sentl'Étatdes avantages qui naissent des ma-
riages ? Dans ce cas, l’autorité temporelle se
concerterait avec l'autorité spirituelle, pour
prévenir cet abus. Mais on peut se rassu-
rer pleinement à ce sujet ; l'esprit du siècle
ne pousse pas la foule vers les couvens.
Nous avons plus à redouter un excédent
qu'un défaut de population. Et sil faut à
un peuple policé des sociétés de commerce
et des académies littéraires, il lui faut
aussi, dans la décadence des mœurs amolies
par le luxe, des exemples de vertu qui
condamnent le désordre, des asiles pour
l’innocenceexposée, des maisons de retraite,
soit pour le crime pénitent, soit pour les
hommes que des ambitions trompées dé-
goûtent du monde, soit pour le soulagement
des familles peu aisées qui descendent du
rang qu’elles occupent dans l’ordre social,
par l'impuissance de placer honorablement
les enfans dont elles se trouvent surchar-
65
gées. Enfin , il faut à la France, telle que
la révolution l’a faite, des communautés
pieuses occupées de secourir tous les genres
d’infirmités et de malheurs ; mais surtout
des corporations ecclésiastiques qui, sans
être dominées par aucun esprit d'intérêt
personnel, se consacrent à l’éducation de la
Jeunesse avec cette infatigable activité, avec
ce dévouement absolu que la religion seule
peut inspirer et produire. Aussi le vœu de
voir s'élever sur le sol de la patrie des as-
sociations animées de cet esprit d’héroisme
chrétien, a-t-1l été souvent exprimé par un
grand nombre de conseils-généraux de dé-
partement ; et la France, loin de les repous-
ser, les appelle par l’organe de ses citoyens
les plus respectables.
Tirez maintenant les conséquences des
principes que nous avons développés dans
l'interprétation la plus claire et la plus na-
turelle de l’article de la Charte relatif à la
liberté des cultes, et voyez si, sous l'égide
de ce pacte fondamental et sacré, les Jé-
suites ne sont pas à l’abri de toute attaque
5
66 |
légale. Ne forment-ils pas une de ces as-
sociations religieuses approuvées par les
ordinaires des lieux, où l’on fait profes-
sion de suivre ces conseils évangéliques
dont l'observation fait partie du culte ca-
tholique? Et loin d’inspirer des craintes à
l'Etat, ne lui offrent-ils pas de nouveaux
gages de sécurité et de bonheur? N’est-il
pas vrai que dans toutes les villes où ils
ouvrent une maison d'éducation, aussitôt
des élèves nombreux viennent se placer
sous leur direction? Et cette confiance que
leur témoignent les pères de famille, n’at-
teste-t-elle pas de la manière la plus frap-
pante, leur capacité, leur dévouement, la
bonté de l’éducation qu’ils donnent à la
jeunesse, la haute utilité de leurs services ?
Voyez ensuite la haine profonde que leur
portent les ennemis les plus furieux de
l'ordre social, et à ce signe reconnaissez la
pureté de leurs principes religieux et po-
litiqués, comme la sincérité de leur zèle
pour les intérêts et la gloire de l’auguste
dynastie qui règne sur la France. Devant
67
des faits de cette nature, aussi publics,
aussi incontestables , toutes les puériles ac-
cusations de régicide, de cupidité, d'am-
bition , de morale suspecte, doivent aussitôt
s’évanouir comme de vains fantômes qui ne
peuvent troubler que des têtes faibles et
malades.
Ainsi, il n’existe aucun prétexte dont
on puisse se prévaloir pour proscrire en
France l'association religieuse des jésuites ;
et le jour où une telle proscription serait
prononcée, le gouvernement aurait porté
une funeste atteinte à la Charte dans ses
dispositions relatives à l’admissibilité des
Français aux divers emplois du royaume,
comme à la liberté pleine et entière des
cultes. Une telle proscription devrait encore
être abhorrée comme une publique et scan-
daleuse violation de cette liberté civile et
individuelle dont jouit tout citoyen fran-
çais, sous l'empire de nos lois, dans tous
les actes de sa vie domestique et privée.
Ainsi, il ne s’agit plus d’aller fouiller
dans nos anciens recueils de jurisprudence
68
pour y trouver des édits, des lois et des
décrets qu'on puisse opposer à l'existence
des Jésuites. Toutes les dispositions qu’on
aurait pu autrefois faire valoir contre eux
ont été effacées par la main auguste qui a
écrit la Charte et qui l’a octroyée à la
France. C’est donc un devoir pour le gou-
vernement, non seulement de tolérer leur
société, mais encore de la protéger. Etsien
jetant dans l'oubli tous les principes consa-
crés soit par la Charte, soit par nos maxi-
mes de droit public, on venait à prononcer
sa suppression, dès lors il ne faudrait plus
parler ni de liberté individuelle, ni de li-
berté civile, ni de liberté religieuse ; toutes
ces libertés seraient indignement foulées
aux pieds. Nous ne vivrions plus sous
l'empire de la Charte, mais sous la main
de fer d’une administration oppressive et
tyrannique. Que les libéraux cessent donc
de provoquer les rigueurs du gouverne-
ment contre les jésuites, ou bien qu'ils dé-
clarent nettement ne respecter la Charte,
ne vouloir de la Charte que selon leurs ca-
69
prices et dans l'intérêt de leur parti. C'est
pour eux, j'en conviens, une alternauve
fâcheuse, mais elle est certaine et inévi-
table.
70
AV UE M M UE MUR UM LULU UE RAA EU LUE LA
CHAPITRE IE
Quels sont les abus signalés dans les petits séminaires
dirigés par les jésuites ou autres ecclésiastiques,
comme contraires aux ordonnances royales?
IL faut que ces abus soient bien graves,
puisque, sur le rapport du garde des sceaux,
ministre de la justice, une commission ex-
traordinaire a été nommée pour les cons-
tater, et pour soumettre ensuile à un sé-
rieux examen les mesures complètes et ef-
Jicaces destinées à leur répression. Cepen-
dant, amis des jésuites, rassurez-vous; ce
ne sont ni les intérêts de la religion, ni les
intérêts de la monarchie, ni l'intérêt des
pères de famille qui se trouvent compromis
par ces énormes abus. Le gouvernement
n’est point inquiet sur les doctrines ensei-
gnées par les jésuites à leurs élèves. Il sait
71
fort bien que la jeunesse instruite dans leurs
écoles se distingue par la pureté des senu-
mens religieux et monarchiques. Il n’a pas
de craintes non plus relativement aux
mœurs. Dansaucun collége elles ne sont sur-
veillées avec plus de soins et de succès. Ce
ne sont pas les périls de la science qui ex-
cltent sa sollicitude; jamais on ne reprocha
aux jésuites d’avoir propagé l’obscuran-
üsme , et leurs succès dans l’insitrucuon de
la jeunesse, comme dans la culture des
lettres et des sciences, ne sauraient être l’ob-
jet d’un léger doute , encore moins d’une
discussion sérieuse.
Quels sont donc les graves intérêts com-
promis dans les petits séminaires ? On es
appelle intéréts materiels de l'Univer-
sité; car on y recoit, outre les aspirans au
sacerdoce, des enfans qui n’ont aucune
vocation pour cet état; 1l arrive même sou-
vent que ceux-ci sont plus nombreux que
les premiers : d'où il résulte que ces éta-
blissemens ressemblent plutôt à des col-
léges qu’à des petits séminaires. Aussi les
ne
élèves ne portent-ils point l’habit ecclésiasu-
que, et c’est un fait certain, dit-on, qu'ils
reçoivent des lecons de danse et d’escrime,
exercices qui conviennent peu à des aspi-
rans au sacerdoce. Mais ce qu'il y a de
plus sérieux dans tout ceci, c'est que les
parens ne paient point la rétribution uni-
versitaire ; et nous verrons en effet qu'à
cela seul se réduit tout ce qu’il y a d’abus
énormes dans les petits séminaires. Nous
parlerons seulement de ceux dirigés par
les jésuites : si leur innocence estreconnue,
on fera volontiers grâce à tous les autres.
D'abord nous ferons observer qu'il y a
beaucoup d’exagération dans ces diverses
accusations dirigées contre les jésuites. On
a osé avancer et soutenir qu'il existait sous
leur direction tel petit séminaire d’où 1l
ne sortait pas un ecclésiastique tous les
ans, et, en preuve de cette assertion, on
a nommé Saint-Acheul ; assertion cepen-
dant de toute fausseté, car plus de cinq
cents prêtres sortis de ce petit séminaire,
exercent aujourd’hui les fonctions ecclé-
75
siastiques dans les seuls diocèses d’ Amiens
et de Beauvais; et l'on voudra bien nous
accorder que Saint - Acheul, fondé vers
la restauration, ne compte pas cinq cents
ans d'existence. Outre les Belges que la
persécution du gouvernement des Pays-
Bas a forcés de chercher un asile dans ce
même établissement, et qui aspirent aux
ordres sacrés, il y a régulièrement trois ou
quatre cents élèves destinés à combler les
vides du sanctuaire. Et d’après les dispo-
sitions prises à cet égard par l’évêque dio-
césain, Saint-Acheul fournira annuelle-
ment trente-cinq ou quarante prêtres. On
voit, d’après ces renseignemens pris sur les
hHeux, combien on doit être défiant toutes
les fois qu’il s’agit de griefs imputés aux
jésuites.
Quant à ce qui concerne la danse et
l'escrime , l’assertion est encore de toute
fausseté. Et nous invitons ceux qui n’ajou-
teraient point de foi à nos paroles, à faire
dévotement le pélerinage de Saint-Acheul,
comme n’a pas craint de le faire M. Du-
74
pin aîné, non suspect de jésuitisme. El leur
sera facile alors de se convaincre de notre
véracité.
Nous ne nions cependant pas qu’à Saint-
Acheul et dans d’autres petits séminaires,
il n’y ait un nombre plus ou moins grand
d'élèves sans vocation pour l'état ecclé-
siastique. Mais observez que parmi ces
derniers, plusieurs y sont envoyés par
leurs parens, dans l’espoir que leurs incli-
nations se dirigeront insensiblement vers
cet état; et sans doute par considération
pour un tel motif, on leur fera grâce ; ils
ne seront pas comme des profanes, impi-
toyablement chassés des écoles ecclésias-
tiques secondaires. Quant aux autres, un
motif d’une autre nature exige encore qu'ils
soient épargnés.
La plupart et même Îa très-grande ma-
jorité des aspirans au sacerdoce n’appar-
tiennent point aux classes opulentes ou
aisées de la société. S'ils n’étaient élevés
gratuitement, les portes du sanctuaire leur
seraient à jamais fermées, et la religion,
7
qui ne peut exister sans sacerdoce, périralt
en France, faute de prêtres. Cependant le
gouvernement, qui a fondé des bourses
dans les colléges royaux, et même pour
les grands séminaires, ne dote point les
écoles ecclésiastiques secondaires. Quelle
que soit leur importance, elles ne figurent
en aucune manière sur le budget, n1 pour
des bourses, ni pour des secours de quel-
que nature qu’ils soient. Les conseils-gé-
néraux de département qui votaient quel-
ques mille francs pour le vestiaire et
l'entretien des professeurs, se sont abstenus
de le faire, quand ils ont vu M. de Cor-
bière rejeter de tels votes comme abusifs.
D'un autre côté, les quêtes diocésaines
suffisant à peine aux besoins des grands
séminaires, dont les dépenses ne sauraient
être couvertes par le produit des bourses
royales, ne peuvent être employées au
soutien des écoles ecclésiastiques secon-
daires. Dans cet état de choses, si vous
décrétez l'expulsion des élèves appartenant
à des fanulles riches, mais qui ne mani-
76
festent aucune vocauon pour le sacerdoce,
alors vous enlevez à ces établissemens l’u-
nique ressource qui puisse maintenir leur
existence, celle des pensions que ces en-
fans leur apportent. Alors vous dites aux
maîtres et aux élèves du sanctuaire : Sortez
de cette école ou mourrez de faim. Alors,
vous êtes forcés de convenir que l’ordon-
nance royale qui autorise les évêques a
établir un petitséminaire par département,
ne leur accorde plus qu’une faculté déri-
soire, celle de fonder une école ecclésias-
tique secondaire, mais à cette condition,
qu'il ne lui sera laissé aucun moyen de
subsistance. Est-ce là donner un sens rai-
sonnable à un acte émané de l'autorité du
Roi, dans l’intérêt de la religion ? Ne serait-
ce pas plutôt en faire un monument de
dérision et d’insulte, aussi indigne de la
majesté royale qu'injurieux aux évêques
de France et à la religion elle-même? Telle
n'est point la conduite des fils aînés de
l'Eglise. Le sang de saint Louis dont ils
77
sont issus, leur inspire des sentimens et
plus élevés et plus chrétiens.
En privant les évêques de la faculté de
recevoir dans leurs petits séminaires, outre
les aspirans au sacerdoce, des enfans de
familles riches destinés à un autre état, vous
en prononcez donc la destruction, et par
conséquent , celle de la religion en France.
Car, sans petits séminaires, plus de sacer-
doce, et sans sacerdoce plus de religion.
Avant la révolution, quoiqu'il n’y eût
point, ou qu'il n’y eût que très-peu de petits
séminaires, le clergé était, il est vrai,
fort nombreux ; mais à cette époque, il pos-
sédait d’immenses richesses; et l'or qui
brillait dans le sanctuaire devenait un puis-
sant appât pour les familles. Loin d’éloi-
gner leurs enfans de l’état ecclésiastique,
des parens inconsidérés et violens les for-
aient souvent d’y entrer. Ainsi, l’on n’a-
vait pas besoin de petits séminaires pour
combler les vides du clergé. Tout portait
vers cet état une portion notable de (a jeu-
nesse du royaume : d’abord, l'esprit de foi
78
et de piété qui y régnait, puis la fortune
dont jouissait l'Eglise, puis encore l’in-
térêt des familles, surtout dans un royaume
où l'héritage paternel était presque tout
entier transmis aux aînés. Maintenant, au
contraire, les esprits sont moins que jamais
inclinés vers la religion; le clergé, dé-
pouillé de ses anciennes richesses, ne jouit
plus de la considération attachée à la for-
tune, et la plupart des familles riches re-
douteraient de voir un de leurs membres
entrer dans le sanctuaire. Sous le rapport
temporel, l’état ecclésiastique est considéré
comme le dernier de ia société, surtout
dans un siècle avili par la soif de l'or, et
dévoré par un esprit de révolte et d’irré-
ligion. Aussi expérience a-t-elle prouvé
dans toute la France, que pour mettre la
jeunesse à l’abri d’un funeste dégoût pour
le sacerdoce , il est indispensable de l’éle-
ver dans des établissemens séparés. Les
colléges royaux ne fournissent presque au-
cun sujet; et lorsque des aspirans à l'é-
tat ecclésiastique se trouvent confondus
79
dans une foule de jeunes gens ayant des
vues pour le monde, ils perdent facile-
ment leur vocation. Pour la conserver, il
faut qu’ils soient nombreux dans les mêmes
établissemens, et dirigés par des ecclésias-
tiques attentifs à entretenir leur goût pour
les fonctions sacrées. Ces établissemens,
ce sont les petits séminaires ; supprimez-
les, et c’en est fait du sacerdoce et de la
religion.
Mais nous n'avons pas encore épuisé la
source des accusations : les élèves des pe-
tits séminaires ne portent point l’habit ec-
clésiastique, et l'Université se trouve frus-
trée de cette lucrative rétribution que de-
vraient au moins acquitter les parens de
ceux qui ne se destinent point au sacer-
doce....; autres griefs imputés aux petits
séminaires dirigés par les jésuites !
Voici donc la grande question des jé-
suites en très-peu de temps réduite à une
affaire d’habits et d'argent. II me semble
qu'alors les nuages qui obscurcissaient cette
question se dissipent heureusement, et que
80
bientôt les difhicultés se trouveront telle-
ment aplanies, qu'il sera on ne peut plus
facile d’arriver à une solution claire et sa-
usfaisante.
D'abord , on conviendra facilement qu'il
appartient aux évêques de fixer la couleur
et la forme de l’habit ecclésiastique; ja-
mais ce droit ne leur a été contesté; et les
Parlemens, qui, dans le dernier siècle, em-
piétèrent si souvent sur la juridiction spi-
rituelle, voulurent bien laisser les évêques
en possession tranquille de cette haute
prérogative. Ainsi, nous espérons que, mal-
gré les terribles envahissemens de l’ambi-
ueux parti-prêtre, on n’élevera aucune
prétention à cet égard, et que l’Université
se gardera de revendiquer le droit de ré-
oler ce point de discipline ecclésiastique ,
surtout s1 elle a du respect, ce que nous ne
ne révoquons pas en doute, pour les décrets
du concile écuménique de Trente, qui
charge de ce soin les premiers pasteurs des
diocèses.
On voudra bien nous accorder encore,
81
qu'il n’est pas convenable de revêtir de la
soutane une troupe nombreuse de marmots
ou de jeunes gens qui éprouvent le besoin
de se mouvoir librement, et pour qui cet
habit long serait par trop incommode dans
les courses et les jeux propres à leur âge,
Outre qu’une pareille disposition semble-
rait peu libérale , ne blesserait-elle pas les
convenances, en faisant porter à des en-
fans qui jouent et folâtrent à leur aise, le
costume dont sont revêtus les ministres de
la religion, au milieu de leurs graves et
augustes fonctions?
Enfin, nous ferons observer que la néces-
sité d'admettre dans les petits séminaires,
pour les soutenir, des enfans que leur vo-
cation n’appelle pas à prendre place dans
les rangs du clergé, étant une fois établie
et reconnue, il y aurait de l’inconséquence
et même de la haine pour la religion, à
exiger que les élèves portassent un habit
trop ecclésiastique, qui éloignerait les pa-
rens de les y envoyer. Ce serait, par une
voie astucieuse et indirecte , supprimer les
6
82
ressources nécessaires à leur existence. Et
certes, un ministère qui, dans l'intérêt des
colléges de l’Université, adopteraitune telle
mesure, aurait trompé la sagesse du roi ;
sous prétexte de rendre ces colléges plus
florissans, et la rétribution universitaire
plus copieuse, il porterait le coup de la
mort à la religion en France, par la des-
itruction d’un grand nombre de petits sé-
minaires.
Quel pourrait donc être l’habit ecclé-
siastique pour les élèves de ces utiles éta-
blissemens ? Il nous semble que l’Univer-
sité aurait lieu de se tranquilliser sur la
forme et la couleur de ce vêtement, sl
était réglé qu'il consisterait dans un habit
ét une cravate de couleur noire. Ce cos-
tume sufhrait pour distinguer les élèves
ecclésiastiques de ceux des colléges, et ré-
veiller en eux le souvenir de leur vocation ;
et nous croyons que déjà il a été générale-
ment adopté dans les écoles ecclésiastiques
secondaires.
Reste à examiner la question relative à
83
la rétribuuion universitaire. Au moins,
dira-t-on , 1l n’est nullement dans l’ordre
que l’Université soit frustrée de la rétribu-
tion qui lui est due par les familles dont
les enfans suivent des cours publics de la-
tinité, sans aucune vue pour le sacerdoce.
Or, voilà cependant ce qui arrive, lors-
qu'on les admet dans les petits séminaires.
Nous pourrions faire remarquer que
lorsque des parens, mus par le désir de
donner à leurs enfans une éducation plus
fortement religieuse, morale et monarchi-
que, les envoient de préférence dans un
petit séminaire, ils se privent , par le motif
le plus louable, du bienfait des bourses
royales dont jouissent les colléges de V'U-
niversité, et qu'ainsi il n'y aurait pas excès
de générosité à les déclarer affranchis d’une
onéreuse rétribution. Mas enfin, si l’on
pense que c’est là un abus énorme, et que,
sans sa prompte réforme, l’Université se
trouverait exposée au péril de mourir de
faim, on peut facilement arriver à son
secours sans compromettre aucunement
34
l'existence des aspirans au sacerdoce. Que
les recteurs des académies reccivent l’ordre
du grand-maître de demander aux évêques
un tableau certifié véritable par eux, de
tous les élèves qui ne manifestent aucune
inclination pour l’état ecclésiastique ; que
leurs parens soient ensuite obligés de payer
la taxe universitaire, et alors l'Université
percevra intégralement ses droits. Jusqu’à
présent aucure demande de cette nature
n’a été faite ni aux évêques ni aux supé-
rieurs des petits séminaires. On ne saurait
donc les surprendre, même sur ce point,en
flagrant délit; et si le gouvernement juge
à propos d’adopter cette mesure, 1l peut
compter, nous n'en doutons pas, sur leur
rehgieuse exactitude à s’y conformer.
De toutes les propositions établies dans
le cours de cette discussion sur les jésuites
et les petits séminaires, il résulte, 1° qu’en
confiant aux jésuites la direction des écoles
ecclésiastiques secondaires, les évêques ne
sont nullement en contravention aux lois
du royaume; 2° qu'on ne pourrait expulser
85
les jésurtes de ces utiles établissemens, sans
violer la Charte, nos libertés et nos maxi-
mes de droit public ; 3° qu'en y admettant
des enfans qui n’aspirent point au sacer-
doce , les évêques agissent selon l’esprit de
l'ordonnance royale qui les autorise à éta-
blir un petit séminaire par département,
puisque , sans la ressource des pensions que
les familles de ces enfans apportent aux
petits séminaires que le roi a voulu pro-
téger, et dont la nécessité a été reconnue,
ces établissemens tomberaient en ruines
dans la plupart des diocèses, faute de
moyens de subsistance ; 4° que la chute
des petits séminaires entraînerait celle de
la religion catholique en France, par l’ex-
trême pénurie de prêtres qui afiligerait tous
les diocèses ; 5° enfin, que les abus signa-
lés dans les peuts séminaires comme con-
traires aux ordonnances royales, se rédui-
sent tout au plus à une affaire d'argent pour
l’Université, laquelle peut être facilement
réglée par une mesure toute simple que
le gouvernement peut mettre à exécution
86
quand :l le voudra, et avec le concours
des évêques, sans compromettre aucune-
ment l’existence des écoles ecclésiastiques
secondaires.
Que l’on juge maintenant, d’après cette
discussion , jusqu'à quel point l’ignorance
ou la haine aveugle les hommes du jour,
dès qu'on leur signale des abus dans le
clergé! Pour obtenir leur convicuon, 1l
suffit d’accuser ; aussitôt, et sans examen,
ils adoptent tout ce que la mauvaise foi in-
vente de dénonciations et de calomnies:
on dirait qu’une nature dépravée les en-
traîne irrésistiblement à croire le mal, et
le mal seulemeni, quand il s’agit des pré-
tres catholiques. Et tandis que la licence
de Ja presse ronge le corps social en per-
vertissant chaque jour l'opinion publique ;
tandis que la religion, le trône et la so-
ciété chancellent sous les coups violens et
redoublés des factions , certains person-
nages élevés, qui se croient hommes d’E-
‘tat, ne paraissent effrayés que d’une seule
chose... Fcoutez, écoutez bien... les abus
87
introduits dans les petits séminaires! Ne
serait-on pas tenté de croire qu’ils ont si-
salé la grande plaie du royaume? Qu'elle
soit guérie, et la France est sauvée! Qui
ne s’extasiera, plein d’admiration, devant
des vues politiques d’une telle étendue,
d'une telle profondeur? ou plutôt, quel
homme sensé ne s’indignera ou ne gémira
en apercevant, d’une part, tant de mali-
gnité, de mauvaise foi et de haine, et de
l’autre tant de crédulité, d’aveuglement et
d’extravagance au milieu de toutes les lu-
mières dont le siècle éuincelle ?
58
SAR AU UE LU UV AU URL VU UV RAA UN UT
CHAPITRE IV,
N’existerait-il pas quelque moyen de congédier honné-
tement les jésuites, sans violer ni la Charte, ni nos
libertés, ni nos maximes de droit public?
IL ne peut plus être question d’expulser
ignominieusement les jésuites des petits
séminaires, puisqu'ils existent en France,
non seulement sans aucune infraction des
lois du royaume, mais sous la protection
de la Charte, sous l’égide de nos libertés
publiques. Nous l’avons prouvé.
Il ne peut non plus être question d’in-
terdire aux évêques l'admission dans les pe-
tits séminaires, des élèves qui n’aspirent
point au sacerdoce , puisqu'une telle me-
sure, en privant ces établissemens de tous
moyens de subsistance , déterminerait in-
failliblementleur ruine; ce quiserait pour la
89
religion la plus grande calamité qui puisse
peser sur elle. Nous l’avons démontré:
Mais certains esprits subtils et féconds
en ressources ont imaginé un moyen de
congédier honnêtement les jésuites, sans
violer ni la Charte, ni nos libertés ; ni nos
maximes de droit public; et déjà, dans
leur cœur, ils se félicitent d’un triomphe
prochain et assuré. Quel est ce moyen? le
voici : ce serait de nous ramener tout dou-
cement au paternel régime de Buona-
parte, en plaçant les petits séminaires
sous la juridiction de l’Université. Alors,
pour être employés dans ces établissemens,
les jésuites devraient accepter un diplome
de l'Université , et consentir à l'examen de
leurs élèves par les inspecteurs-zénéraux.
Or, on espère que cet ordre de choses étant
inconciliable avec leurs statuts et léurs
usages, les jésuites prendraïent d’eux-mé-
mes le parti de sorur des petits séminaires.
Et alors quels cris de victoire partiraïént
de tous les rangs dulibéralisme! Aux pieds
de l’idole seraient enfin 1mmolées lesivieui-
90
mes dont ses pontifes , avides de proscrip-
tons, ne cessent de demander le sacrifice.
Mais aussi qu'arriverait-il si les jésuites
acceptaient les conditions qui leur seraient
imposées ? En leur accordant des diplomes,
l'Université les recevrait dans son sein ;
leurs colléges jouiraient, ainsi que les siens,
des mêmes droits, des mêmes prérogatives.
Alors, de quel funeste sort ne serait-elle
pas menacée? ne deviendrait-elle pas, aux
yeux de Ja faction, complice de jésui-
usme? et ne signalerait-on pas avec in-
dignation l’hôtel du grand - maître comme
un nouveau Mont-Rouge où l’on dispo-
serait de tous les emplois du royaume,
où la paix et la guerre, les projets de loi
et les traités de commerce, les affaires de
la Grèce, d'Haïti et d'Amérique, tous les
grands intérêts politiques de la France, de
l’Europe et des quatre parties du monde,
seraient soumis à l’influence du parti jésui-
tique et réglés par ses décisions souveraines ?
Évidemment le grand-maître de l’Univer-
sité et le général des jésuites ne feraient plus
—«h
91
qu'un, par l’inaltérable union des esprits,
des cœurs et des intérêts. La fille aînée de
nos rois considérerait les jésuites comme
ses enfans, et les jésuites la respecteraient
comme leur mère; et depuis l’Océan jus-
qu’aux Alpes, depuis le Rhin jusqu'aux Py-
rénées, la France se trouverait toute jé-
suitisée. O tempora! o mores ! Mais alors
de quels flots amers d’ironies et d’impré-
cations l’Université ne serait-elle pas tous
les matins cruellement abreuvée par Le
Constitutionnel, par le Courrier, par le
Journal du Commerce, par le Journal des
Débats et autres feuilles libérales! Ev au
milieu d’un tel orage , au milieu d’un dé-
chaînement si général, quel homme sensé
ne tremblerait pour sa chute prochaine!
Cette explosion de haine et d’indignation
éclaterait avec tant de violence contre elle,
que bientôt, dégradée, perdue sans res-
source dans l'opinion publique, elle ver-
rait ses recteurs, ses proviseurs, Ses pro-
fesseurs insultés comme jésuites dans les
rues; puis ses colléges, sinon désertés, du
92
moins fléwris et mis en insurrection par
la jeunesse pensante, réflechissante et
agissante de M. Royer - Collard (1):....
Messieurs les libéraux, y pensez-vous, de
proposer une mesure aussi impolitique ?
Vous voulez tuer adroitement Îes jésuites,
et voilà que du même coup vous allez tuer
l'Université avec les jésuites. Réfléchissez
avant d’agir.
On aurait tort de regarder ceci comme
une pure plaisantérie; car ce que les libé-
raux demandent, ce n’est pas l’affliation
des jésuites à l’Université, mais leur des-
truction. Si donc par une afhiliation de ce
genre leur société acquérait une sorte
d'existence légale, ils exhaleraient à la fois
leur mécontentémént contre l'Université,
le gouvernement et les jésuites; et en vou-
laut les calmer par une concession, on ne
ferait que les aigrir et les irriter davantage.
2
(1) C’est ainsi que, dans un de ses lumineux
discours, M. Royer-Collard a caractérisé la jeu-
nesse française.
93
Il nous reste à examiner la mesure pro-
posée, sous des rapports beaucoup plus sé-
rieux et plus graves.
Pour détruire sept ou huit établissemens
d'éducation dirigés par les Jésuites, vous
voudriez placer tous les petits séminaires
sous la juridiction immédiate de l'Univer-
sité. Avez-vous bien calculé toutes les
suites d’une telle mesure ? Les petits sé-
minaires sont considérés par les: évêques
comme des établissemens ecclésiastiques
qui relèvent directement de leur juridic-
tion. On n’y enseigne pas, 1l est vrai, la
science de la théologie, mais les aspirans
au sacerdoce y sont réunis pour se former
à la piété et faire des études préparatoires
à la récepuon des saints ordres ; et l’on au-
rait tort de prétendre que Finstrucuon
qu'on y recoit dans les classes, parce qu’elle
est purement littéraire, doit naturellement
être placée sous la surveillance et la direc-
tion de l'Université. Car c’est aux évêques
qu'il appartient de régler et de fixer l’ins-
truction liuéraire que doivent posséder les
94
jeunes ens ui se présentent pour être ad-
mis aux ordres sacrés : c’est là un objet de
discipline ecclésiastique placé hors des at-
tributions du gouvernement, et par consé-
quent de l'Université.
D’ailleurs, cette instruction doit varier,
selon les temps et les circonstances. Par
exemple, à une époque où une afiligeante
disette de prêtres se fait vivement senur,
où des paroisses en grand nombre, privées
des secours spirituels, réclament avec ins-
tance des ouvriers évangéliques, il est clair
qu'alors les premières études doivent être
abrégées. L'intérêt de la religion com-
mande qu’en exigeant une instruction lit-
téraire moins forte,on hâte le moment de
la promotion au sacerdoce. Or, telle est en
France la douloureuse position de plu-
sieurs diocèses. Mais il en est d’autres où
le clergé est assez nombreux pour sub-
venir aux besoins des paroisses, et là 1l
convient qu’on exige des jeunes lévites une
instruction littéraire plus étendue et plus
forte. Or, qui doit naturellement juger des
95
besoins des diverses églises de France,
pour régler ensuite la durée et la force des
études dans les petits séminaires ? sont-ce
les évêques ou les inspecteurs-généraux de
l'Université ? Proposer une telle question,
n'est-ce pas la résoudre ?
Peut-être objectera-1-on que dans plu-
sieurs petits séminaires, et notamment
dans ceux dirigés par les jésuites, le nom-
bre des aspirans au sacerdoce est inférieur
à celui des élèves que leur vocation appelle
aux emplois civils et militaires, et qu’ainsi
ces établissemens étant plutôt des colléges
que des écoles ecclésiastiques, il est dans
l’ordre qu'ils soient placés sous la juridic-
tion immédiate de l’Université. Si l’on
adopte ce raisonnement, il faudra donc
chaque année compter les élèves qui se
destinent au sacerdoce et ceux qui ne Sy
destinent pas. Et lorsque le nombre des
premiers sera plus grand, l’établissement
devra être déclaré peut séminaire. Au con-
taire, lorsqu'il sera inférieur, l’établisse-
ment deviendra collége de l’Université.
96
Ainsi, la même école pourra successivement
se trouver placée, une année sous la juri-
dicuüon de l’évêque diocésain, et l’année
suivante sous celle de l’Université. Or, le
nombre comparatif des élèves ayant des
vocations diverses pour le sacerdoce où pour
le monde, étant sujet à varier dans le cours
de l’année, le changement de juridiction
devra aussi s’opérer dans la même année.
Et les maîtres ainsi que les élèves passe-
raient successivement d’un régime à un
autre pour la discipline et pour les études,
selon que l’école deviendrait diocésaine ou
universitaire. Ne serait-ce pas faire de
ces écoles de véritables tours de Babel,
où règnerait la confusion des langues en
auendant la dispersion des peuples? Je de-
mande si un tel projet mérite un sérieux
examen. Puisque c'est une nécessité d’ad-
mettre: dans les petits séminaires, pour les
soutenir, des enfans appelés à vivre au
milieu du monde, il faut donc que ces
établissemens restent toujours soumis à la
juridiction des évêques, indépendamment
|
97
d’un nombre plus ou moins grand d’aspi-
rans au sacerdoce.
On parle encore de réduire le nombre
des petits séminaires , puis celui des petites
écoles ecclésiastiques établies soit chez
les curés, soit ailleurs. Et cependant, dans
presque tous les diocèses, une triste pé-
nurie de prêtres afflige les villes et les
campagnes; or, le seul moyen de combler
les vides du sanctuaire, c’est de multiplier
les écoles ecclésiastiques. Car, plus elles
sont nombreuses, et plus il existe d’élèves
pour le sacerdoce. Le voisinage de ces éta-
blissemens inspire aux pères de famille,
dans les campagnes surtout, la pensée de
diriger vers cet état les inclinations de
leurs enfans, comme il leur procure en
même temps la facilité de leur faire faire
des études à peu de frais. Ainsi, les petites
écoles ecclésiastiques établies chez les cu-
rés, fournissent des sujets aux écoles se-
condaires; et celles-ci alimentent les sémi-
naires, où l’on recoit les ordres sacrés; et
si l’on supprime les petites écoles, on
7
(ste)
qu'on en diminue le nombre, il est évi-
dent que la disette d'ouvriers évangéliques
augmentera chaque année d’une manière
alarmante : ce qui sera un véritable fléan
pour la religion , pour les mœurs, pour les
familles.
On ajoute que lorsque l'Université pos-
sédera un collége dans une ville où se trou-
vera un pétit séminaire , les élèves ecclé-
siastiques seront obligés de suivre les cours
du collége : mesure vexatoire et funeste ,
dont l’exécution doit être réputée impos-
sible. Quels sonules évêques qui ne iremble-
raient pas alors, et pour la vocation et pour
la vertu des élèves du sacerdoce ! Malgré
toutes les précautions de sûreté, n’auraient-
ils pas lieu de redouter pour -eux les liaï-
sons dangereuses, la communication des
livres impies ou immoraux et d’autres sé-
ducuons de cette nature? Et quand même
leurs principes et leurs mœurs seraient pla-
cés à l’abri du danger , on devrait encore
s'alarmer sur leur vocation; car l’expé-
rience prouve que les aspirans au sacerdoce
L
99
la perdent souvent dans le commerce des
jeunes gens qui, vivant au milieu du monde,
portent leurs vues sur les emplois civils ou
militaires du royaume. En changeant de
société ils changent d’inclination, et s’éloi-
gnent du sanctuaire. On doit donc s’at-
tendre aux plus fortes réclamations de la
part des évêques, si une pareille mesure
était adoptée par le gouvernement.
Enfin, certaines gens ne paraissent oc-
cupés que du soin de chercher des moyens
odieux pour contrarier les premiers pas-
teurs des églises de France dans la direc-
tion de leurs petits séminaires. [ls veulent
à tout prix établir le monopole de l’ensei-
gnement ; quoique égalemient opposé et aux
vœux des pères de famille et à l'esprit du
souvernement représentatif. Et pour éten-
dre les attributions de l'Université, ils de-
mandent que les droits de l’épiscopat soient
blessés dans l’objet le plus important, l’é-
ducation de la jeunesse cléricale ; comme si
l'intérêt matéréel de l'Université était tout
pour la monarchie, et que la reNgion dût
106
être comptée pour rien dans le monde po-
litique ainsi que dans le monde moral. Au
reste, ils connaissent bien peu les véritables
intérêts de l’Université, ceux qui, dans la
vue de lui donner plus de force et d'éclat,
adopteraient des mesures dont l’inévitable
résultat serait d’exciter contre le corps en-
seignant la juste animadversion du clergé.
Voici une considération que je livre à l’exa-
men de tous ces imprudens faiseurs de pro-
jets de réforme.
Avant que M. l’évêque d'Hermopolis ne
fût placé à la tête de l'instruction publique ,
il s'élevait de tous les points de la Franceune
clameur générale contre les colléges de l’'U-
niversité. Les pères de famille, mécontens
de l’éducation qu'y recevaient leursenfans,
appelaient par leurs vœux une prompte cor-
rection des abus. Des écrivains distingués si-
snalaient avec énergie les désordres qui ré-
gnaient dans les maisons d'éducation ; et tous
les ans, un grand nombre de conseils-géné-
raux de département émettaiænt le vœu que
Fenseignement public fût confié à des con-
IO1
grégations ecclésiastiques et religieuses. Le
clergé ne pouvait pasrester étranger à ce mou-
vement général ; et les contrariétés que les
évêques éprouvaient souvent de la part des
recteurs des académies, soit pour l’établis-
sement, soit pour l'autorisation des petites
écoles ecclésiastiques dans les campagnes,
achevaient de rendre critique la position de
l’Université. Car si, d’une part, l’opinion
publique se déclarait avec violence contre
elle, de l’autre, une lutte fâcheuse s’éta-
blissait entre ses chefs et ceux du clergé.
Et lorsque, dans la vue de satisfaire le vœu
des pères de famille, les recteurs deman-
daient des ecclésiastiques pour les placer
dans les colléges, les évêques, qui man-
quaient de prêtres , et que l’on contrariait
dans l’exécution des mesures propres à en
augmenter le nombre, préféraient donner
des pasteurs aux églises veuves , plutôt que
des professeurs à l’Université. De toutes
ces circonstances réunies, il résultait que
ce grand corps enseignant bâti de la main
de Buonaparte, semblait miné par une ma
103
ladie de langueur qui annonçait sa chute
prochaine. On ne parlait que de le réfor-
mer ou de le détruire, de le guérir ou de
le tuer; et les hommes les plus éclairés
que leur intérêt engageait à le soutenir,
disaient hautement que, pour lui donner
de la vie, il était nécessaire d'opérer un
rapprochement entre lui et le clergé. Leur
vœu fut accompli. Un évêque connu par
son caractère franc et loyal, par ses talens
oratoires, par des succès éclatans obtenus
auprès de la jeunesse de la capitale, dans
des conférences sur lareligion , pleines de
logique, de vues lumineuses, de mouve-
mens élevés et pathétiques, atura les re-
sards du roi, et devint chef de l'instruction
publique; et dès ce moment, l'opposition
contre l’Université commenca à se calmer.
Bientôt on vit renaître la confiance géné-
rale; et le corps enseignant, réconcilié par
cette sage mesure avec le clergé, avec les
pères de famille, reprit une consisiance,
une vigueur nouvelle.
Eh bien! voulez-vous, par des mesures
103
inconsidérées et vexatoires, le faire retom-
_
ber dans sen ancien état de faiblesse et de
langueur ? affligez, tourmentez les évé-
ques dans létablissement et la direction
des écoles ecclésiastiques ; aux dépens de
leurs droits et de l'intérêt de leurs dio-
cèses, étendez les attributions de l’Univer-
sité, et vous verrez alors se renouveler cette
lutte fâcheuse qui contribua si puissam-
ment à la frapper d’un discrédit universel.
Elle produirait encore le même résultat ;
car, malgré tous les efloris d’une facuon
impie pour avilir les ministres de la reli-
sion dans l'opinion des peuples, le clergé
a un principe de vie et de force qui le fera
survivre à ses ennemis : quoique injurié ,
calomnié chaque jour avec acharnement,
il se concilie, par sa patience, par son
zèle , par ses services comme par ses ver-
tus, le respect et la confiance d’une grande
partie de Ja nation ; et parmi ceux même
qui paraissent effrayés du ridicule fantôme
du parti-prétre, il existe des milliers de
pères de famille qui ne sont rassurés sur le
104
sort de leurs enfans, qu’autant que leurs
études, leurs mœurs, leur santé, leur in-
nocence se trouvent placées sous la sur-
veillance des ecclésiastiques. Si donc vous
opérez une rupture ouverte entre les évé-
ques et l’Université, vous indisposerez con-
tre elle une masse redoutable d’hommes
sages et réfléchis ; vous la priverez des ser-
vices qu'elle peut recevoir du clergé par
une constante union de lumières, d’efforts
et de dévouement; et en voulant servir ses
intérêts, vous lui donnerez un air de ty-
rannie qui deviendra funeste à son crédit,
et un jour peut-être à son existence.
Et pourquoi donc tous ces vains projets
de réforme d’abus qui n'existent pas, et
dont l’exécution entraïnerait après soi des.
suites si désastreuses ? c’est pour détruire
sept ou huit petits séminaires dirigés par
des jésuites. Dans ce petit nombre d’éta-
blissemens, il y a seulement deux mille.
cinq cents élèves environ, dont plus de la
moitié dirige ses vues vers le sanctuaire.
Et l’on dirait que l’existence de FUni-
105
versité est cruellement menacée, tant les
plaintes sont vives et amères! et l’on ne
fait pas attention que, là où les jésuites en-
seignent, il s'établit dans les colléges de
l’Université une noble émulation de ba-
lancer leur crédit dans l’opinion, par la
surveillance des mœurs, par l'exactitude
de la discipline, et par la force des étu-
des : émulation utile, qui tourne au profit
des lettres, comme au bien de la religion
et des familles; émulation enfin qui est la
véritable cause de l’état de prospérité dont
jouissent plusieurs de ces colléges. Et si un
funeste relâchement venait à s’y intro-
duire, bientôt ils tomberaient devant ceux
des jésuites. À peine trouverait-on des pè-
res de famille qui voulussent accepter pour
leurs enfans le bienfait des bourses royales.
Ils aimeraient mieux se condamner à de
pénibles sacrifices, que d'exposer leur in-
nocence et leur avemir à un triste nau-
frage.
Ce précieux avantage avait été aperçu
et sagement apprécié par le cardinal de
ro6
Richelieu, qui, dans son testament poli-
tique (1'° partie, chap. 2), fait observer
«
que l'intérêt public ne pouvait souffrir
que la société des jésuites, non seulement
recommandable par sa doctrine, mais
célèbre encore par sa piété, fût privée
d’une fonction dont elle pouvait s’acquit-
ter avec grande utilité pour l'Etat...…., et
que puisque la faiblesse humaine exi-
geait un contre-poids en toutes choses,
il convenait que l’Université et les jé-
suites enseignassent à l’envi, afin que
l’émulation excitât leurs vertus, et que
les sciences fussent d’autant plus assu-
rées dans l’Ftat, que si les uns venaient
à perdre un si sacré dépôt, il se trouvât
chez les autres. »
Mais qu'importe aux factieux l'intérêt
de la science et des mœurs? ‘ce n’est point
celni-là qu'ils cherchent. Ils veulent des
bouleversemens dans la société; et pour-
quoi? pour arriver à la fortune, s'ils vivent
dans lindigence ou dans la médiocrité;
et aux honneurs, s’ils sont riches ei opu-
107
lens. Voilà toute leur politique; c’est l’é-
goisme absolu, avec le hideux cortége de
tous les vices. Guerre à Dieu! guerre aux
rois! guerre à l’ordre établi, quel qu'il soit!
Voilà leur cri de ralliement.
Qu'importe donc aux factieux que,
dans les colléges des jésuites, les études
fleurissent, et que les mœurs y soient sur-
veillées jour et nuit avec un infatigable
dévouement ! Que leur importe qu'un or-
dre parfaï, une soumission jamais inter-
rompue par des insurrections bruyantes,
un amour tendre et réciproque entre les
maîtres el les élèves, une piété ingénue
sans oslentation et sans contrainte, une
gaieté franche et naive, symbole du calme
de la conscience et de l’union des cœurs,
que tout enfin y présente le plus ravissant
spectacle aux âmes vertueuses, et aux pères
de famille les plus douces espérances pour
leur avenir, comme pour celui de leurs en-
fans! Sont-ils touchés du bonheur de la jeu-
nesse et de l'intérêt des familles? Non : ce
w’est point là ce qu'ils cherchent, mais plu-
tôt ce qu'ils redoutent. Ils tremblent que les
108
asiles de la vertu ne se multiplient sur le
sol de la patrie. Déjà, par la pensée, ils en
voient avec effroi sortir en foule des milliers
de chrétiens fidèles à Dieu, des milliers de
sujets dévoués au Roi, soumis à l’autorité,
amis de l’ordre, de la justice et de la paix.
Or, telle n’est point la jeunesse qui con-
vient aux projets du parti dont ils arborent
les bannières. I] lui faut une jeunesse fière,
présomptueuse et impie, ivre de liberté et
d'indépendance, prête à secouer au pre-
mier signal le joug de la royauté, à se
signaler par son audace comme par son dé-
vouement dans les émeutes populaires , à
prostituer enfin au fourbe et sanglant gé-
nie des révolutions, tout ce qu’elle a de
forces physiques et morales, son honneur
même, et la vie. C’est sur cette jeunesse de
mœurs sauvages et atroces que ce génie
turbulent fonde ses plus chères espérances.
Tous les jours il la façonne à son joug
pour arriver à son but. Est-il &onc éton-
nant qu’il porte une haine implacable aux
vertueux instituteurs qui en préparent une
autre à la France?
109
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CHAPITRE V.
De la folie de certains royalistes qui font cause com-
mune avec les ennemis des jésuites.
Que les artisans de troubles et de révo-
lutions réclament avec une infatigable per-
sévérance la persécution des jésuites ; que,
pour amener sa chute en soulevant l’opi-
nion publique, ils dirigent sans relâche
contre elle les traits acérés de l’ironie, du
sarcasme et de la calomnie; que ces enne-
mis des rois, occupés à démolir le trône
des Bourbons, appellent, avec une hypo-
crite indignation, les jésuites regicides;
que ces cyniques sans pudeur qui désolent
la France par un déluge de livres immo-
raux osent les dénoncer aux pères de fa-
mille comme les corrupteurs de la morale,
comme les séducteurs de la jeunesse, il n'y
a rien là qui doive surprendre. Ce sont des
110
factieux qui font leur métier; ils calom-
nient pour avilir, et ils avilissent pour dé-
truire. Mais que des hommes imbus de
principes religieux , que des royalistes prêts
à verser leur sang pour le Roi, trompés par
ces déclamations libérales, partagent l'a-
version des factieux pour les jésuites, c’est
un excès de crédulité qui étonne et cons-
terne. Ün tel aveuglement uent de la stu-
pidité. On dirait que le Maître des empires,
irrité contre un peuple que ni ses châtui-
mens ni ses bienfaits n’ont pu corriger,
laisse tomber du ciel un épais bandeau sur
les yeux des défenseurs nés de la couronne.
On serait tenté de croire qu'il livre encore
une fois la terre à un esprit de veruge,
afin qu’elle soit punie par elle-même de
ses propres excès.
Eh quoi! royalistes fidèles, maïs abusés,
vous vous piquez d’avoir de l'esprit, de la
sagacité, une pénétration plus qu’ordi-
naire dans les affaires. Vous prétendez con-
naître les mœurs et les hommes de votre
siècle; vous prononcez hardiment sur les
I FE
plus hautes questions de la politique , peut-
être même vous croyez-vous des hommes
d'Etat capables de sauver la France des
maux qui la menacent; et sur la question
des jésuites, si facile et si claire, vous
ajoutez foi aux déclamauons des plus for-
cenés libéraux! Au lieu de considérer
comme de fermes appuis du trône ceux
que des factieux poursuivent de leur haine
et honorent par leurs injures, vous doutez
presque de la sincérité de leur dévouement
aux Bourbons; peut-être même décidez-
vous, sans hésiter, que ce sont des hommes
dangereux dans une monarchie, alors même
que les ennemis déclarés des rois et des mo-
narchies voudraient les exterminer tous, et
ne pas laisser une seule trace de leur pas-
sage sur la terre. Mais s'ils étaient tels
qu'on les dépeint, ambiueux, régicides,
séducteurs de la jeunesse , fauteurs de dé-
sordres et de révolutions , ils auraient pour
amis leurs ennemis les plus acharnés. N’est-
ce pas à des hommes de ce caractère que
les chefs du libéralisme prodiguent cha-
112
que jour l’encens de la louange? ne sont-ce
pas eux qu’ils vantent sans pudeur, et qu'ils
voudraient élever au pouvoir pour abattre
ensuite par leurs mains la monarchie de
saint Louis?
Défiez-vous de tous ces hommes de parti
qui déchirent à coups de stylet le sein de
la patrie, pour s’enrichir plus tard de ses
sanglantes dépouilles. Ne voyez-vous donc
pas qu'ils ne demandent avec tant d’ins-
tance l’expulsion des jésuites que pour af-
faiblir vos rangs, en privant la jeunesse
d’une éducation fortement religieuse et mo-
narchique? Ne voyez-vous pas qu'après
avoir obtenu cette première victoire , de-
venus plus nombreux et plus forts, ils se
croiront assurés de vous opprimer un jour
vous-mêmes ? car c’est à vos titres de no-
blesse, c'est à vos propriétés , c’est à vos
places, à votre influence, à votre vie même,
qu’ils en veulent. Que ne pouvez-vous as-
sister à leurs conciliabules secrets! que ne
vous est-il possible de pénétrer dans ces
antres du crime où les chefs de la facuon
113
parlent librement de leurs sinistres com-
plots et de leurs moyens d’exécution! Là
il n’est plus question ni de maintenir la
Charte ni d’affermir nos institutions, et
bien moins encore de donner au trône de
nouveaux appuis ; 1l s'agit de renverser tout
ce qui existe, par les moyens les plus vio-
lens; il s’agit d’envelopper dans une pros-
cripuon de sang, et les rois et les nobles,
et les prêtres et tous les fidèles serviteurs
du trône et de la patrie. Voilà leurs pro-
jets, voilà leurs espérances! A de tels dis-
cours , de quels sentimens ne seriez-vous pas
agités? Ah! sans doute, votre cœur serait
oppressé d’une inexprimable douleur, et
votre langue resterait muette d’effroi ; mais
bientôt, à la terreur dont vous seriez saisis,
se Joindraient l’humiliauion et le dépit, car
vous verriez ces mêmes hommes dont vous
paraissez ignorer les desseins, se moquer,
avec un sourire féroce, de votre stupide
crédulité, s'applaudir de leur iniluence sur
vos opinions politiques, et signaler votre
aversion , soit pour les jésuites, soit pour le
5
114
clergé, comme un triomphe éclatant sur 14
cause des rois.
Hommes imprévoyans! les souvenirs de
la révolution sont donc effacés de vos es-
prits; vous avez donc oublié qu'après avoir
frappé les jésuites d’abord, puis les autres
ordres religieux, puis ensuite le clergé sé-
culier, les chefs de la révolution abolirent
la noblesse comme un abus, en attendant
que la royauté elle - même fût proscrite
comme une tyrannie insupportable aux na-
üons. L'histoire de nos malheurs est ou-
verte sous vos yeux; rapprochez le passé
du présent, et lisez dans l’avenir.
Alors on disait en termes barbares qu'il
fallait décatholiciser la France pour la de-
monarchiser , comme aujourd’hui on dit,
en d’autres termes, qu’il faut la rendre pro-
testante pour la rendre républicaine; et
pour enlever au trône l’appui de la religion
catholique dont le clergé, par ses principes,
ainsi que par ses sentimens, restera touJours
dévoué aux Bourbons, on décriait, comme
aujourd’hui, les évêques et les prêtres, en
11
les accusant d’intolérance, de fanatisme et
de superstition.On leur reprochaitencorede
vivre dans l’opulence, aux dépens des clas-
ses laborieuses de la société. Et maintenant
qu'on ne peut plus envier leur fortune, on
s'efforce de leur enlever jusqu’à leur hon-
neur, jusqu'à leur ancienne réputation de
régularité et de vertus; et ceux qui, con-
servant encore quelque reste de pudeur, se
voient forcés par l’évidence des faits de les
épargner sous ce rapport, les accusent d’oc-
cuper toutes les avenues du trône, et de
vouloir tout envahir dans la société. C’est
toujours le même système de diffamation
et de calomnies; faut-il donc un si grand ef
fort d'esprit pour s’apercevoir qu'on veut
arriver au même but, puisqu'on emploie
les mêmes instrumens de destruction? Ft
n'est-il pas manifeste qu’en déclamant avec
les libéraux contre les jésuites et le clergé,
vous mettez dans les mains de vos ennemis
des armes qu'ils tourneront plustard contre
vous-mêmes ? Vous êtes dupes, vous serez
victimes.
116
AAA LV ARR A A RAA A RAR ALU RAA ARR UV RAA AR AS AURA EEE
CHAPITRE VL.
De la bonhomie d’autres royalistes qui opinent pour Îa
suppression des jésuites, afin de calmer les esprits par
une concession au parti libéral.
D'AUTRES royalistes ne se font pas illu-
sion sur les projets des factuieux. Ils veulent
bien croire que les Jésuites sont innocens
des crimes qu’on leur impute; ils ivont
A À LA: = 2 40
même jusqu'à faire l’aveu que leur société
rend des services importans à l’éduca-
tion de la jeunesse; que le parti-prêtre n’est
L] L . _ A . , VF
qu'un ridicule fantôme inventé pour ins-
pirer de l’effroi aux hommes simples et cré-
dules; et que la congrégation n’exerce point
cette redoutable influence qu'on Jui prête
dans la distribution des emplois du royaume.
Mais il ya, disent-ils, un si violent déchaï-
nement contre les jésuites, qu'il faut les
117
sacrifier dans l'intérêt public. C’est, ajou-
tent-1ls avec une bonhomie rare, une con-
cession que l’on doit faire au parti libéral,
pour la sûreté du Roi et de la monarchie.
Il ieur semble qu’alors les chefs de la fac-
tion n'auraient plus de plaintes à former
contre le gouvernement du Roi; que les
journalistes deviendraient doux comme
des agneaux; et qu'enfin n'ayant plus au
milieu de nous des élémens de discorde,
nous jouirions d’une paix douce et profonde,
et serions en quelque sorte ramenés à l’âge
d’or. |
En vérité, il fant bien peu connaître
l'esprit des factieux pour se laisser séduire
par de telles illusions. Est - il donc croyable
qu'après avoir obtenu le sacrifice des jé-
suites, les hommes à révolutions, qui mé-
ditent la chute du trône, seront pleinement
satisfaits? Etpensez vous qu'il ne leur res-
tera plus aucune ressource pour: Jeter: le
trouble dans la société? C’estavec des mots
dont on abnse, que lon sème chez un
peuple l'inquiétude et le mécontentement:
118
C'est avec un moyen si faible en apparence,
mais habilement employé , que l’on soulève
avec violence les passions de la multitude,
pour opérer ensuite les affreux déchiremens
des guerres civiles. N'est-ce pas, en effet,
avec les mots magiques de liberte ei d’e-
galité, d'humanité et de fraternité, de fa-
natisme et de superstition, de tyrannie et
de despotisme, d’aristocratie et de démo-
cratie, que l’on a fait et consommé la ré-
volution de 93? Aujourd’hui, pour la re-
commencer, on emploie le mot esuite
comme un cri de ralliement, non seule-
ment contre les jésuites proprement dits,
mais contre le clergé catholique tout en-
ter, mais contre les royalistes eux - mêmes,
déjà désignés par le parti sous le nom de
jesuites à robe courte. Dans la langue
des factieux, jésuite veut dire maintenant
ce que signifiait autrefois le mot aristocrate.
Fi l’on se persuaderait que cette expression
étant usée par la suppression de la société
de saint Ionace, il n’en existerait plus dans
le dictionnaire dont les libéraux pussent
119
faire usage pour enflammer les passions po-
pulaires! En voici un tout trouvé, et déjà
mis à la mode, c’est celui de purti-prétre.
Et lorsqu'on ne pourrait plus vous dire
vous êtes jésuite, on vous dirait : vous étes
du parti-prétre. Faudrait-il encore pros-
crire en masse le clergé de France, pour
mettre fin aux inquiétudes du moment ?
Oui, sans doute; car si l’on suivait le fu-
neste système des concessions, l’impiété ne
cesserait de crier contre ce terrible parti-
prêtre, jusqu’à ce que les sanctuaires fussent
profanés encore une fois, les temples fer-
més ou devenus la proie des flammes, et
les séminaires convertis en prisons où en
casernes.
Ainsi, anrès avoir obtenu le sacrifice
des jésuites, les libéraux aux trois couleurs
demanderont avec la même insolence l’ex-
tinction des missionnaires, l’abolition des
confréries, puis la destruction de toutes les
communautés religieuses et de tous les sé-
minaires, puis la chute de l’épiscopat et
du clergé catholique, puis encore l’établis-
120
sement du protestantisme comme religion
nationale, puis enfin... l’immolation des
rois et Ja ruine de la France. Vrais Éros-
trates de l’ordre social, ils veulent, par tous
les moyens, produire des désastres, des
incendies, afin de s'enrichir ensuite par le
pillage, au milieu du désordre et de la con-
fusion de la société. Voilà le terme de la
carrière où ils marchent à pas de géant;
et tant qu'ils n’y seront pas arrivés, ils ne
cesseront de demander au gouvernement
de nouvelles concessions. Or, plus on aura
la faiblesse de leur en accorder, et plus ils
en exigeront avec fierté, avec menaces. Et
quand , par suite d’un déplorable système
de pusillanimité et de peur, la religion et
la monarchie se trouveront privés de leurs
plus forts appuis, que restera-t-il à faire...,
sinon à donner un coup de marteau pour
faire tomber le trône avec ses rois, et l’au-
tel sur ses pontifes ? Et alors recommence-
ront avec une fureur inouie les proscrip-
tions, les massacres, les guerres civiles,
les hideuses et sanglantes saturnales de la
121
révolution ; alors sera encore une fois con-
sommée, sous le glaive des bourreaux ét à
la lueur des incendies, la dissolution totale
de la société ; et quand le règne affreux
des passions armées contre le Ciel et contre
les rois sera fini, les tombeaux des martyrs
de la religion et dé la royauté s’éleveront
au milieu de la France, comme des mo-
numens de la stupide frayeur des déposi-
taires du pouvoir, en présence des fac-
uons.
Plus éclairés, plus sages que nous; nos
neveux, après avoir pleuré sur notre froide
poussière, détesteront à jamais nos erreurs.
A l’école de nos longues infortunés, ils au-
ront appris que le système des contes-
sions faites à des séditieux, conduit à la
mort les gouvernemens et les Etais; et
devenus profondément chrétiens en con-
templant avec effroi les ravages de l'im-
piété, ils respecteront ces barrières sa-
crées de la squmission et du devoir, que la
religion élève pour la sûreté des empires
entre les rois et les peuples, entre une
122
sage liberté et les passions furieuses de la
mulutude.
France! …. France!..... ferme l'oreille
aux discours insidieux des hommes violens
qui t’égarent; repousse avec horreur Ja
coupe amère de l’impiété; crains de t’a-
breuver de ce vin enivrant d’une liberté
sans frein, d’une indépendance absolue qui
dissout les sociétés et tue les empires, ou
bien résigne-toi à gémir, à hurler de dou-
leur dans les convulsions de l’anarchie !
Oui, nation éclairée, mais coupable, si
tu ne profites de la terrible expérience
du passé, tu courberas encore une fois ta
tête altière sous la hache des fils de Brutus.
Crois-tu qu’elle sera plus douce que Île
sceptre paternel de tes rois?
129
APPENDICE.
Le but de l'écrit que nous publions
n'étant pas de faire l’apologie des jésuites,
nous n’avons point examiné les différens
chefs d’accusation dont leur société est
l'objet. Ils sont au reste assez éloquemment
réfutés par la vie pure et évangélique
dont ils offrent au monde le touchant spec-
tacle, comme par l’incontestable utilité
des soins qu’ils donnent à la jeunesse. C’est
par des faits qu'ils répondent aux calom-
nies. Leurs vertus et leurs services, telle
est l'unique apologie que ces hommes res-
pectables opposent à la haine qui dif-
fame, à la violence qui outrage. Et il faut
qu'elle porte une vive lumière dans les
esprits, puisque nous les voyons rappe-
lés avec honneur et comblés de témoi-
gnages d’estime et de confiance, dans un
124
grand nombre d'Etats d’où ils furent autre-
fois expulsés avec dureté, avec ignominie.
Non seulement ils existent à Rome, à
Naples, en Piémont, en Espagne, en
Angleterre, dans les Etats-Unis, etc.;
mais l'Autriche elle-même, dont la poli-
tique est si grave, si prudente et si éclai-
rée, vient d'autoriser, en Gallicie, Fé-
tablissement de quatre colléges de jésui-
tes. S'ils étaient tels qu'on les dépeint
tous les jours dans les feuilles du libéra-
lisme , tels qu'on les a représentés au mo-
ment de la dissolution de leur société,
d'où vient que les cours de l’Europe, après
les avoir proscrits, les accueillent avec tant
d’empresseiment et de disunction? Il est
évident que leur innocence est reconnue.
Et rien ne la prouve mieux selon nous que
l'implacable haine que leur portent dans
toutes les contrées de l’univers les plus
furieux ennemis de la religion , des trônes
et de l’ordre social. Voilà des faits qui
parlent plus haut pour leur pleine justifi-
cauon, que toutes les clameurs des libé-
125
raux pour les diffamer. Et quand on s’ap-
plique à ürer les conséquences qui en
découlent naturellement, on peut se dis-
penser de revoir une à une les accusations
dirigées contre eux.
Cependant, pour satisfaire la curiosité
des personnes qui désirent parcourir les
pièces du grand procès intenté aux jésui-
tes, on publie des Recueils de documens
historiques sur leur célèbre société. Non
seulement on y trouve de quoi la justifier
des reproches que lesprit d'irréligion et
l'injustice humaine ont ertassés sur elle,
mais de quoi prouver qu'aucune corpora-
on religieuse ne l’a jamais égalée en mé-
rites de toute espèce et en utilité. Ce que
nous allons citer suflira pour en faire foi.
Réponse de Henri LF aux remontrances pronon-
cées par le premier président de Harlay , en 1603,
au sujet du rétablissement des Jésuites.
J'ai toutes vos conceptions en la mienne; mais
vous n’avez pas la mienneen la vôtre. Vous m'avez
proposé des difficultés qui vous semblent grandes
126
et considérables, et n'avez cette considération que
tout ce qu’avez dit a été pesé par moi il y a huit
ou neuf ans. Vous faites les entendus en matière
d’État, et vous n’y entendez non plus que moi à
rapporter un procès.
Je veux donc que vous sachiez , touchant Poissy ,
que si tous eussiez aussi bien fait qu'un ou deux
jésuites qui s’y trouvèrent à propos, les choses y
fussent mieux allées pour les catholiques. On re-
connut dès lors non leur ambition, mais bien leur
suffisance ; et m'étonne sur quoi vous fondez l’o-
pinion d’ambition en des personnes qui refusent
les dignités et prélatures quand elles leur sont of-
fertes, et qui font vœu à Dieu de n’y aspirer ja-
mais, et qui ne prétendent autre chose en ce monde
que de servir sans récompense tous ceux qui veulent
tirer service d’eux. Que si ce mot de jésuite vous
déplaît, pourquoi ne reprenez-vous ceux qui se di-
sent religieux de la Trinité ; et i vous estimez être
aussi bien de la compagnie de Jésus qu'eux , pour-
quoi ne dites-vous que vos filles sont aussi bien re-
ligieuses que les Filles-Dieu à Paris, et que vous
êtes autant de l’ordre du Saint-Esprit que mes che-
valiers et que moi? J'aimerais autant et mieux être
appelé jésuile , que jacobin et augusun.
La Sorbonne, dont vous parlez, les a condam-
nés ; mais ça été, comme vous, devant que de les
connaître ; et si l’ancienne Sorbonne n’a pas voulu,
157
par jalousie, les reconnaître, la nouvelle y fait ses
études , et s’en loue. S’ils n’ont été en France jus-
qu’à présent , Dieu me réserve cette gloire, que je
tiens à grâce, de les y établir; et s'ils n’y étaient
que par provision, ils y seront désormais par édit
et par arrêt. La volonté de mes prédécesseurs les
y retenait, ma volonté est de les y étabiir.
L'Université les a contrepointés ; mais ça été ou
parce qu’ils faisaient mieux que les autres , témoin
l’affluence des écoliers qu’ils avaient en leurs col-
léges, ou pour ce qu’ils n'étaient incorporés en
l’Université, dont ils ne feront maintenant refus,
quand je leur commanderai, et quand, pour les
remettre, vous serez contraints de me les de-
mander.
Vous dites qu’en votre parlement , les plus doctes
n'ont rien appris chez eux. Si les plus vieux sont
les plus doctes, il est vrai; car ils avaient étudie
devant que les jésuites fussent connus en France ;
mais j'ai oui dire que les autres parlemens ne par-
lent pas ainsi, ni même tout le vôtre; et si on n’y
apprend mieux qu'ailleurs, d’où vient que, par leur
absence, votre université est rendi'e toute ‘déserte ,
et qu’on Va les chercher , nonobstant tous vos ar-
rêts, à Douay et hors de mon royaume ?
De les appeler compagnie des factieux , parce
qu'ils ont éte de la ligue, ça été injure du temps.
Is croyaient y bien faire, comme plusieurs autres
126
qui s'étaient mêlés dans les affaires de ce temps-là :
mais ils ont été trompés et déçus avec eux, et ont
reconnu tout le contraire de ce qu'ils avaient cru
de mon intention ; mais je veux croire que ça été
avec moins de malice que les autres, et tiens que la
même conscience, jointe aux grâces que je leur
ferai, me les aflectionnera autant et plus qu’à la
ligue.
Ils attirent, dites-vous, les enfans qui ont de
l'esprit, voient et choisissent les meilleurs; et c’est
de quoi je les estime. Ne faisons-nous pas choix des
meilleurs soldats pour aller à la guerre? Et si les
faveurs n'avaient place, comme envers vous, en
recevriez-vous qui ne fussent dignes de votre com-
pagnie et de seoir au parlement? S'ils vous four-
nissaient des précepteurs ou des prédicateurs igno-
rans, vous les mépriseriez ; ils ont de beaux esprits ,
vous les en reprenez. Quant aux biens que vous
dites qu'ils avaient, c'est une calomnie et une im-
posture , et sais très -bien que par la réunion faite
à mon domaine , on n’a su entretenir à Bourges et
à Lyon que sept où huit régens, au lieu qu'ils v
étaient au nombre de trente à quarante; et quand
il y aurait de l’inconvénient de ce côté”, par mon
édit j'y ai pourvu.
Le vœu d’obéissance qu’ils font au pape ne les
obligera pas davantage à suivre son vouloir, que le
serment de fidélité qu’ils me firent à n’entreprendre
7
120
rien contre le prince naturel; mais ce vœu n’est
pas pour toutes choses , ils ne le font que d'obér
au pape quand il voudra les envoyer à la conversion
des infidèles ; et de fait, c’est par eux que Dieu a
converti les Indes; et c’est ce que je dis souvent :
Si l'espagnol s’en est servi, pourquoi ne s’en servira
la France? Notre condition est-elle pire que les
autres? L'Espagne est-elle plus aimablé que la
. France? Si elle l’est aux siens , pourquoi ne le sera
pas la France aux miens ?
Ils entrent comme ils peuvent ; aussi font bien
les autres, et suis moi-même entré comme j’ai pu
en mon royaume; mais il faut ajouter que leur
patience est grande, et que moi je l’admire : car
avec patience et bonne vie ils viennent à bout de
toutes choses; et si ne les estime pas moins en ce
que vous dites qu'ils sont grands observateurs de
leurs vœux ; c'est ce qui les maintiendra. Aussi n ai-
je voulu en rien changer leur règle, ains les y
maintenir : que si je leur ai limité quelques condi-
ons qui ne plairont pas aux étrangers, il vaut
inieux que les étrangers prennent la loi de nous ,
que si nous la prenions d'eux. Quoi qu'il en soit,
je suis d’accord avec mes sujets. Pour les eeclésias
tiques qui se formalisent d'eux, c'est de tout temps
que l'ignorance en a voulu à la science; et j'at re-
counu que, quand je parlais de les rétablir , deux
sortes de personnes Sy opposent parueuliere
9
130
ment, ceux de la religion (réformée), et les ecclé-
siastiques mal vivans ; c’est ce qui me les fait esti-
mer davantage.
Touchant l’opinion qu'ils ont du pape, je sais
qu'ils le respectent fort; aussi fais-je moi. Mais
vous ne dites pas qu'il a voulu saisir à Rome les
livres de M. Bellarmin, parce qu'il n’a pas voulu
donner autant de juridiction au Saint-Père, que
font communément les autres. Vous ne dites pas
aussi que , ces jours passés, les jésuites ont soutenu
que le pape ne pouvait errer, mais que Clément
pouvait faillir. En tout cas, je m’assure qu'ils ne di-
sent rien davantage que les autres de l'autorité du
pape, et crois que quand on en voudrait faire le
procès aux opinions, il le faudrait faire à celles de
l'Eglise catholique. Quant à la doctrine d'émanciper
les ecclésiastiques de mon obéissance, ou d’ensei-
gner à tuer les rois, il faut voir d’une part ce qu'ils
disent, et informer, s’il est vrai qu'ils le montrent
à la jeunesse. Une chose me fait croire qu’il n’en est
rien ; €’est que, depuis trente ans en ça qu’ils ensei-
gnent la jeunesse en France, plus de cinquante
mille de toutes sortes de conditions sont sortis de
leurs collèges, ont conversé et vécu avec eux, et
que l’on n’en trouve un seul de ce grand nombre
qui soutienne de leur avoir oui tenir un tel langage,
ni autre approchant de ce qu’on leur reproche.
De plus, il y a des ministres qui ont étudié sous
131
cûx; qu'on s’informe d’eux de leur vie : il ést à
présumer qu’ils en diront le pis qu'ils pourront,
ne fût-ce que pour s’excuser d’être sortis d’avec
eux. Je sais qu’on l’a fait, et n’a-t-on rien tiré autre
raison, sinon que, pour leurs mœurs, il n’y a rien
à dire.
Quant à Barrière, tant s’en faut qu’un jésuite
l'ait confessé , comme vous dites , que je fus averti
par un jésuite de son entreprise; et un autre lui dit
qu'il serait damné s’il osait l’entreprendre. Quant à
Châtel, les tourmens ne purent lui arracher aucune
accusation à l'encontre de Varade ou autre jésuite ;
et si autrement était, pourquoi l’auriez-vous épar-
gné? Car celui qui fut arrêté, fut arrêté pour un
autre sujet, que l’on dit s’être trouvé dans ses écrits;
et quand ainsi serait, qu’un jésuite aurait fait ce
coup, faut-il que tous les apôtres pâtissent pour un
Judas, ou que je réponde de tous les larcins, et de
toutes les fautes qu'ont faites et feront à l’avenir
ceux qui auront été de mes soldats? Dieu m'a voulu
alors humilier et sauver , et je lui en rends grâce ;
il m’enseigne de pardonner les offenses, et l’ai fait
pour son amour volontiers : tous les jours je prie
Dieu pour mes ennemis, tant s’en faut que je m'en
veuille souvenir, comme vous me conviez à faire
peu chrétiennement, dont je ne vous sais point
»
gre.
1392
Avis du Dauphin, père de Louis XFI, au con-
seil d'État de Louis XF.
L’aflaire que nous traitons est bien avancée...
j'en conviens ; mais noüs voyons aussi dans quel
sens, et par quelles étranges manœuvres. Elle est
bien avance! et ce doit être là le grand sujet de
notre étonnement, que, dans une affaire d’État, la
magistrature se soit arrogé l'initiative sur le chef
suprême de l'État, et qu'elle ait porté l’oubli de ses
devoirs jusqu'à procéder au mépris même des
ordres du roi. Ce bien de la paix , cette tranquillité
publique dont on nous parle, et que je crois dé-
sirer autant que personne, ils sont dans le respect
pour la justice, et ne sont que là. Non, ce ne sera
pas dans ce conseil, je l’espère, que la passion des
oppresseurs deviendra le crime des opprimés. Je
déclare en conséquence que, n1 en honneur, ni en
conscience, je ne puis opiner pour l'extinction de
cette société d'hommes précieux, aussi utile au main-
tien de la religion parmi nous, que nécessaire à
l'éducation de la jeunesse.
Témoignage de Ferdinand TI, empereur
d Autriche.
Nous recommandons avant tout et sérieusement
à nos enfans, la société de Jésus, et ses Pères, non
seulement par attachement pour elle, mais surtout
r
133
encore à cause de sa doctrine, des soins qu’elle prend
de l’éducation de la jeunesse, de la vie exemplaire
de ses membres, qui édifient l'Eglise catholique, tant
dans nos provinces d'Autriche et autres terres de no-
tre domination , que dans tout le monde chrétien.
où les jésuites travaillent utilement, fidèlement et
plus que les autres à conserver et à propager la
religion catholique ; et comme le monde ingrat et
pervers les hait et les persécute par-dessus tout,
ils ont besoin d’une plus grande protection et as-
sistance , et ils en sont dignes. Nous espérons que
nos héritiers et successeurs la leur accorderont
sincèrement. C’est notre dernière intention et vo-
lonté.
Témoignage du grand Frédéric.
Pour moi, j'aurais tort de me plaindre de Gan-
ganelli; il me laisse mes chers jésuites que l'on
persecute partout. J'en conserverai la précieuse
graine pour en fournir à ceux qui voudraient cul-
tiver chez eux une plante si rare.
Extrait de l'avis des prélats de France consultés
par Louis XF sur l'affaire des jésuites.
L'institut des jésuites avant pour objet l'edu-
cation de la jeunesse, le travail du ministère de la
134
confession, la prédication , l’instruction chrétienne,
l'exercice gratuit de toutes sortes d'œuvres de cha-
rité envers le prochain, la propagation de la foi,
et la conversion des infidèles, il est évidemment
consacré au bien de la religion et à l’utilité des.
États.
C'est ce qui engagea le pape PaullIT à l’approu-
ver par la bulle Regimini, en 1540. Les papes ses
successeurs ayant reconnu , par une longue expé-
rience, les grands avantages qui revenaient à la
religion de cet institut, lui donnèrent les marques
les plus distinguées de leur bienveillance et de leur
protection.
Les Pres du concile de Trente l’appellent un
institut pieux , et dispensent , par un privilége sin-
gulier , les religieux de cette société de la loi gé-
nérale qu'ils avaient faite pour l’émission des vœux
par rapport aux autres ordres.
Saint Charles Borromée, ce grand zélateur de la
foi, de la réformation des mœurs et de la disci-
pline , fit connaître aux Pères du concile de Trente
l'estime qu'il avait pour cet institut, et la bien-
veillance particulière que les fruits du zèle des re-
ligieux de la compagnie de Jésus inspiraient pour
eux au souverain pontife.
Les ambassadeurs des princes qui étaient pré-
sens au concile, pensaient de même, lorsqu'ils pro-
posaient l’établissement de plusieurs de leurs col-
135
léges en Allemagne, comme le moyen le plus
efficace pour y rétablir la foi et les bonnes mœurs.
Cependant, sire, la nouveauté et la singularité
de cet institut, l’étendue des priviléges qui lui
étaient accordés par les bulles des papes , la géné-
ralité de son objet, qui le mettait en concurrence
avec les corps déjà établis, lui suscitèrent bien des
contradictions, lorsqu'il fut question de son éta-
blissement en France. Les universités, les ordres
mendians , les ordres réguliers s’y opposèrent. Vos
parlemens firent desremontrances, dans lesquelles
ils insistèrent sur les inconvéniens de la réception de
cet institut en France. Eustache du Bellay, pour lors
évêque de Paris, lui fut contraire; le clergé même
de votre royaume fit assez voir, par le jugement qu’il
rendit dans l'assemblée de Poissi , en 1561, qu'il
craignait les entreprises des jésuites, puisqu'il n'y
consentit (à leur réception) qu’en apposant à son
consentement plusieurs restrictions et réserves ,
pour maintenir le droit commun de la juridiction
des évêques.
En 1574, le clergé de votre royaume, qui con-
naissait pour lors l'approbation donnée par le concile
de Trente à cet institut, se conformant à ce que
le concile en avait jugé, déclara, dans l’article de
son cahier concernant la profession des novices,
après une année de noviciat, que, « par la règle
« qu'il faisait sur ce point, il n'entendait déroger
136
« où innover aucunes choses aux bonnes constitu-
« tions des eleres Ge la religion de la société du
«nom de Jésus, approuvée du S. Siége aposto-
« lique. » IT fallait même que les jésuites eussent
bien fait tomber , par leur conduite, les préventions
qu’on avait eues d’abord contre leur institut , puis-
qu'en 1610, où il y avait encore un si grand sou-
ièvement contre eux, Henri de Gondi, évêque de
Paris, parlant un langage si différent de celui
qu'Eustache du Bellay , l’un de ses prédécesseurs ,
avait tenu en 1554 , leur rendait témoignage , « que
« leur ordre était, tant pour sa doctrine que pour
« sa bonne vie et mœurs , grandement utile à l’'É-
« glise et profitable à l’État; » que la chambre
ecclésiastique et celle de la noblesse des États-gé-
néraux en 1614 et 1015, demandaient avec tant
d'instance le rétablissement de la compagnie des
Pères jésuites, pour l'instruction de la jeunesse ,
dans la ville de Paris, et l’crection d’autres nou-
veaux colléges dans les différentes villes duroyaume,
regardant ce point comme un des plus essentiels de
leurs cahiers, et qui devait être sollicité avec plus
de vivacité; qu'ils suppliaient les députés envers le
roi « d’avoir cet article en particulière recomman-
dation , à ce qu’une réponse favorable à leffet dudit
article fût au plus tôt accordée et exécutée. » « La
« compagnie reconnaissant combien l'institut desdits
« Peres , leur doctrine et industrie à servi et servira
137
« encore , avec la grâce de Dieu , pour le maintien
« de la foi et de la religion catholique, restaura-
«tion de la piété et bonnes mœurs en icelle, et
« pour l’extirpation des hérésies ; » et qu’enfin l'as-
semblée du clergé de 1617 proposait les écoles des
jésuites comme le moyen le plus propre à remettre
la religion et la foi dans l’âme des peuples.
Les lettres patentes qu'il a plu, sire , à vos au-
gustes prédécesseurs de leur accorder pour léta-
blissement d’un grand nombre de colléges en
France, font assez connaître qu’ils étaient persua-
dés de leur utilité. Louis XIV, votre auguste bi-
saïeul , l'a reconnu particulièrement , sire , lorsque,
par les lettres patentes qu’il fit expédier pour leur
établissement au collége de Clermont, il disait
« qu'il cherchait à favoriser les soins que les jé-
« suites prennent si utilement pour élever la jeu-
« nesse dans la connaissance des bonnes lettres, et
« lui apprendre ses véritables obligations envers
« Dieu et envers ceux qui sont préposés pour gou-
« verner les peuples, » et lorsqu'il voulut que ce
collége portât son auguste nom.
Les jésuites sont aussi très-utiles à nos diocèses ,
pour la prédication , pour la conduite des âmes ,
pour établir, conserver et renouveler la foi et la
piété par les missions, les congrégations , les re-
traites , qu'ils font avec notre approbation et sous
notre autorité.
138
Par ces raisons, nous pensons, sire, que leur
interdire l'instruction , ce serait porter un notable
préjudice à nos diocèses ; et que, pour l'instruction
de la jeunesse, il serait difficile de les remplacer
avec la même utilité, surtout dans les villes de pro-
vince où il n’y a point d'Université.
Les religieux des autres ordres qui ne sont pas
dévoués par état et par leurs vœux à cette espèce
de travail, ne sont accoutumés ni à la méthode ni
à l’assujettissement de l’instruction. Distraits néces-
sairement par les observances de leur ordre, ils ne
peuvent donner à l’éducation de la jeunesse une
attention aussi suivie.
Les clercs réguliers , autres que les jésuites et les
prêtres vivant en communauté , ne sont pas en assez
grand nombre pour les suppléer.
Les prêtres séculiers peuvent, à la vérité, avec
la permission de leur évêque, se consacrer à cette
instruction ; mais n’ayant point été exercés dans ce
genre, dès leur jeunesse, ils n’y prennent point de
goût, et n’ont point la même intelligence pour y
réussir ; d’ailleurs n’ayant pas, à beaucoup près,
dans nos diocèses, le nombre de prêtres suflisant
pour les fonctions du ministère , il nous serait im-
possible de suffire à cet objet.
Prendrait-on des laïques? on sait combien il est
difficile d’en trouver, dans les provinces , qui veuil-
lent se livrer à un travail aussi pénible et aussi re-
139
butant ; qu’il est plus rare encore d’ÿ en trouver
qui aient les qualités et les talens nécessaires pour
y être employés.
Les jésuites, sire, tiennent actuellement en
France cent colléges. S'ils étaient supprimés, où
trouverait-on le nombre de sujels ayant les qualités
nécessaires pour remplir les places de régens dans
tous les colléges? Les jésuites, faisant un corps de
communauté, ont encore l'avantage de pouvoir
choisir, parmi tous les jeunes religieux qu'ils for-
ment pour cet exercice, ceux qui sont les plus propres
pour y réussir; et si quelqu'un de leurs régens se
conduisait ral , ils sonten état d’en mettre un autre
sur-le-champ; avantage qui ne peut se trouver dans
les communautés qui ne sont pas spécialement dé-
vouées à cet objet, dans celles qui, quoique propres
à l'instruction, ne sont point assez nombreuses , et
encore moins parmi les laïques libres et sans suite
par leur état.
L'enseignement que les jésuites font dans nos
diocèses, sire, est public. Des personnes de tous
états et de toutes conditions sont témoins de ce qu’ils
enseignent. Nous osons assurer Votre Majesté qu'ils
n'ont jamais été accusés , auprès de nous, de tenir
la doctrine qu’on leur impute. Qu'on interroge ceux
qui ont été élevés dans leurs colléges , qui ont fré-
quenté leurs missions , leurs congrégations, leurs
retraites : nous somines persuades qu'on n’en trou-+
140
vera pas un seul qui dépose qu'il leur ait entendu
enseigner quelque doctrine contraire à la sûreté des
souverains. Nous leur devons même le témoignage
que, dans leurs colléges, ils consacrent leurs talens
et ceux de leurs écoliers à célébrer les louanges de
nos rois, et à inspirer les sentimens de respect et
de fidélité qui sont dus à l’autorité et à la majesté
royale.
Craincrait-on, sire, l’autorité d’un seul homme
de qui dépendent plusieurs milliers d’antres hom-
mes qui lui sont assujettis par une obéissance qui ,
quoique restreinte, les tient cependant liés à Jui
par des motifs de conscience si puissans sur lesprit
et sur le cœur, surlout des personnes dévouées à la
piété par état? Cela ne pourrait-il pas devenir dan-
gereux, dans des temps d’agitation et de trouble ?
Ilya, sire, dans les autres ordres mendians,
encore plus de religieux assujeltis à des généraux
étrangers, par les liens de l’obéissance : pourquoi
les jésuites seraient-ils seuls à redouter? Il n’est
point de corps dont l'Etat n’ait quelque chose à
craindre, s'il sort de son devoir et de la légitime
subordination : faut-1l, pour cela, supprimer et
anéantir tous les corps? La crainte des abus doit-
elle faire détruire ce qui produit actuellement un
bien réel ?
D'ailleurs, sire, les jésuites sont toujours sous
l'autorité des lois : et elles veillent sans cesse pour
“
141
. les rappeler à leur devoir, s'ils avaient le malheur
de s’en écarter.
Les jésuites de France, en 1681 , reçoivent, sire,
des brefs du pape, à l’occasion de l'affaire de la ré-
gale, avec ordre de Sa Sainteté et de leur général
de les distribuer en France.
M. de Ncvion , pour lors premier président , dit
aux jésuites qui s'étaient rendus le 20 juinau palais,
« que c'était un bonheur que le paquet venu de
« Rome fût tombé en des mains aussi retenues que
« les leurs ; qu’on ne sur prenait point leur sagesse,
«et qu'on ne corrompait point leur fidélité. »
M. l’avocat-général Talon dit qu’on n’avait point à
se plaindre de la conduite des jésuites, bien justi-
fiés par les reproches qu'ils avaient reçus, dans le
billet écrit au nom du pape, et dans la lettre de leur
général. Ce seul trait prouve mieux, sire , que tous
les raisonnemens, que tous les jésuites sont persua-
dés que l’obéissance à leur général , telle qu’elle est
prescrite par leurs constitutions, ne les oblige point,
dans tout ce qui pourrait leur être ordonné de con-
traire à la soumission et à la fidélité qu'ils doivent
à leur souverain.
Extrait de la constitution de Pw VIT pour le
rélabiissement de la socit: de Jesus.
Les vœux unanimes de presque tout l'univers
chretien pour le retablisss-aent de la société de
142
Jésus, nous attirent tous les jours des demandes
vives et pressantes de la part de nos vénérables
frères les archevèques et évêques, et des personnes
les plus distinguées de tous les ordres; surtout
depuis que la renommée a publié de tous côtés
l'abondance des fruits que cette société produisait
dans les régions qu’elle occupait, et sa fécondité
dans la production des rejetons qui promettent
d'étendre et d’orner de toutes parts le champ du
Seigneur:
La dispersion même des pierres du sanctuaire,
causée par des calamités récentes, et des revers
qu'il faut plutôt pleurer que rappeler à la mé-
moire, l’anéantissement de la discipline des or-
dres réguliers (de ces ordres, la gloire et l’orne-
ment de la religion et de l’Eglise) , dont la réunion
et le rétablissement sont l’objet de nos pensées et
de nos soins continuels, exigent que noüs don-
nions notre assentiment à des vœux si unanimes
et si justes. Nous nous croirions coupables devant
Dieu d’une faute très-grave, si, au milieu des
besoins si pressans qu'éprouve la chose publique,
nous négligions de lui porter des secours salutai-
res que Dieu, par une providence singulière, met
entre nos mains, et si, placés dans la nacelle de
Pierre, sans cesse agitée par les flots, nous reje-
tions les rameurs robustes et expérimentés qui
s'offrent à nous, pour rompre la force des vagues
143
qui menacent à tout instant de nous engloutir
dans un naufrage inévitable.
Rien ne fait plus d'honneur aux jésuites
que les motifs exprimés dans ces deux para-
graphes. En leur donnant une vie nouvelle,
en les rappelant avec tant de confiance au
secours de la religion, Pie VIT leur a rendu
un hommage aussi glorieux que mérité. Il a
replanté de sa propre main l'arbre que la
tempête avait déraciné; et la preuve qu'il
a fait en cela un acte de haute sagesse,
conforme aux besoins des peuples, c’est
que cet arbre couvre déjà les deux Mon-
des de ses rameaux.
FIN.
RON RS RS RE RS RES RAR A ET RO ET TE
TABLE
DES CHAPITRES.
CHAPITRE PREMIER. L'existence des jésuites en Frarice
est-elle contraire aux lois du royaume ? Page 3
Crar.1l. L'existence des jésuites en France ne serait-
elle point protégée par nos maximes de droit public
et par la Charte : 37
Cap. III. Quels sont les abus signalés dans les petits
séminaires dirigés par les jésuites ou autres ecclésias-
tiques, comme contraires aux ordonnances roya-
les ? 7o
Cuar.IV. N’existerait il pas quelque moyen de con-
gédier honnêtement les jésuites, sans violer ni la
Charte, ni nos libertés, ni nos maximes de droit pu-
blic ? 88
Car. V. De la folie de certains royalistes qui font
cause commune avec les ennemis des jésuites. 109
Cxar. VI. Ne la bonhomie d’autres royalistes qui opi-
nent pour la suppression des jésuites, afin de calmer
les esprits par une concession au parti libéral. 116
APPENDICE. 123
FIN DE LA TABLE.